La référence était on ne peut plus explicite. Dans le premier tome de The Grocery, le personnage d’Elliot zappait sur une image symbolique de la série The Wire, celle du canapé rouge posé sur le terrain vague d’une cité HLM où s’organisent tous les trafics de stupéfiants de Baltimore. Le clin d’œil aux télévores accros à la série diffusée sur HBO était à peine dissimulé, et inscrivait The Grocery comme une variation BD de The Wire, dont il reprend le contexte géographique et social. Mais là où le programme télé était une forme d’anti-24 heures Chrono, décrivant le quotidien laborieux d’une brigade des stups, The Grocery est un véritable concentré de violence paroxystique, jusqu’au-boutiste et cynique dans la description d’une société où les armes circulent librement et où les banques creusent la misère du pays à coup de subprimes. Le premier tome posait les enjeux du récit à travers le parcours de trois personnages : Elliot, jeune surdoué un peu naïf dont on suit le rite initiatique dans les gangs, Washington, soldat qui revient d’Irak pour découvrir que sa maison a été confisquée par une société de recouvrement et Ellis One, patron de la pègre qui a survécu à la chaise électrique et qui vient revendiquer son territoire. Aurélien Ducoudray, au scénario, plantait un univers où se télescopent de multiples influences – de Scarface à Boyz In the Hood en passant par Pulp Fiction et Breaking Bad –, tout en inscrivant le récit dans une réalité sociale radicale. Le dessin de Guillaume Singelin, très urbain avec un character design basé sur des figures animales, déréalise quelque peu le propos pour que l’expérience – aussi brutale soit-elle – soit aussi fun et accessible.
Le deuxième tome reprend l’histoire précisément là où se finissait le précédent. M Friedman, le gérant de l’épicerie, va en prison pour le meurtre du rabbi Finkelstein et doit pactiser avec le clan néo nazi de la Race Aryenne pour survivre au pénitencier. De nouveaux personnages apparaissent et développent encore davantage le fil narratif. Un mystérieux homme d’affaire vient racheter tout un quartier de Baltimore pour y installer des laboratoires de crystal meth et faire de la grocery un service de livraison de drogues 24h/24h. La guerre des gangs s’intensifie et une jeune latino jure de se venger d’Ellis One qui a abattu dans un salon de tatouage le père de l’enfant qu’elle porte. Elle va s’associer au jeune Sixteen qui a vu ses amis se faire aussi tuer sauvagement par ce dernier. Quant à Washington, il se retrouve dans une situation de leadership qu’il n’a pas voulu, pour défendre le droit des sans abris à continuer d’occuper le hangar qu’ils ont réquisitionné. C’est très riche et dense, il faudra bien quatre volume pour dénouer toutes les pistes narratives qui se mettent en place. D’un point de vue graphique et de la mise en page, ce deuxième tome s’inscrit dans la suite logique du premier. Il alterne les couleurs en fonction des séquences et des ambiances, les typographies sont issues de la culture urbaine avec de multiples références à la pub, à la télé – cette fois, c’est la série Oz qui est convoquée -, au hip hop et au rap, au skate. En tout cas, The Grocery est aussi addictif qu’une bonne série télévisée et comme pour les feuilletons dont on attend les saisons suivantes, on espère ne pas avoir à patienter trop longtemps pour découvrir le troisième volet.
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