La scène la plus étonnante de la Guerre des Mondes de Spielberg est celle du surgissement des tripods des entrailles de la terre face à une population d’abord incrédule, puis paniquée par la puissance de destruction des robots. En quelques minutes, le réalisateur convoquait le souvenir du 11 septembre en filmant des citoyens face à une menace incompréhensible et destructrice. Le talent de Spielberg à ce moment-là a été de situer cette séquence à hauteur d’hommes, en limitant les mouvements d ‘appareil au ras du sol, pour provoquer un sentiment immersif chez le spectateur. Par la suite, rien dans La guerre des mondes ne parvenait à égaler cette séquence traumatique et le vrai défaut du film était de proposer son climax dès la première bobine.
JJ Abrams a sans doute retenu cette leçon de cinéma et, en grand faiseur de buzz, a inventé le concept génial que l‘on pourrait tout simplement résumer à l’équation suivante : Le projet Blair Witch + Godzilla = Cloverfield. Soit les codes et les exigences du film de monstre passés à la moulinette d’un dispositif se réduisant à la captation d’événements par une simple caméra numérique.
Le procédé, s’il peut relever du gadget ou de la formule induit pourtant pour le spectateur le sentiment d’être plongé directement dans l’action, de vivre les événements à l’identique des personnages, sans aucun recul. Les images, saisies par le biais d’une caméra numérique subjective, évoquent irrésistiblement celles des attentats du World Trade Center : explosion inaugurale, nuages de poussières se déversant dans les rues de New-York, incompréhension, panique collective. La fameuse suspension d’incrédulité est ainsi favorisée pour le spectateur qui a l’impression de vivre un événement « live », plutôt que d’assister à une œuvre de fiction.
Mais le système de la caméra portée contient aussi ses limites : son extrême mobilité exigée par les événements fait que l’image est constamment instable et peut rebuter pour cette raison (sac vomitif indispensable pour ceux qui ne supportent pas la caméra subjective). De plus, on a du mal à croire que le porteur de la caméra continue de filmer en toutes circonstances, qu’il soit poursuivi par des créatures dans le métro ou qu’il s’agisse de sauter du toit d’un immeuble à un autre. La crédibilité du procédé en prend un coup, mais demeure plus attrayant que celui du Projet Blair Witch où un groupe de randonneurs perdus dans la forêt ne faisaient que tourner en rond pendant une heure trente. Autre point faible du film, son histoire d’amour centrale, insuffisamment crédible faute d’une caractérisation satisfaisante des personnages, mais qui justifie cependant le périple du héros principal parti à la recherche de sa girl friend en désobéissant aux ordres d’évacuation.
Dans l’immense campagne de marketing viral organisée autour du film, la question principale des internautes a tourné autour de la créature. Des vidéos issues de la bande-annonce et montrant partiellement le monstre tournaient en boucle depuis des mois sur Youtube, excitant l’imaginaire des « nerds » du monde entier. Le film se joue constamment de l’attente du spectateur de découvrir le design du monstre, qui ne nous sera cependant montré qu’en de très rares occasions et toujours de façon incomplète. Ceux qui s’attendaient à un festival d’effets spéciaux avec destructions massives en seront sans doute pour leurs frais, le film jouant sur le registre de la stricte économie de moyens sur ce registre. C’est ce qui fait la force de Cloverfield, la menace suggérée s’avérant beaucoup plus efficace qu’un déferlement de CGI explicites.
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