James Gray a su s’imposer et jouir d’une reconnaissance critique dans le paysage cinématographique international. Quatre de ces cinq précédents longs-métrages ont concouru pour la Palme d’or à Cannes (The Yards, La Nuit nous appartient, Two Lovers, The Immigrant). Il se positionne en grand admirateur de la Nouvelle Vague, privilégiant des œuvres intimistes et mettant en scène des protagonistes fragilisés dont le destin semble voué à l’échec, tiraillés dans leur recherche identitaire et morale, bien loin des modèles héroïques américains. Didier Péron, critique à Libération explique d’ailleurs que « James Gray […] fait vraiment du cinéma très intimiste, européen, il cite Bresson, Dreyer, il ne cite pas Scorsese. […] ». Ceci peut quelque part éclairer la raison de son impopularité dans son pays d’origine, les États-Unis. Très décrié et considéré comme surestimé en Europe, James Gray est boudé par l’Académie des Oscar depuis ses débuts et regardé comme quelqu’un de dangereux auprès d’Hollywood. Avec The Lost City of Z, son sixième film en vingt-trois ans, il pourrait mettre tout le monde d’accord en s’attaquant à son projet le plus ambitieux.
« Don’t go » l’aurait averti Francis Ford Coppola, songeant sans doute à l’année chaotique et infernale dont émergea son chef d’œuvre Apocalypse Now. Les tournages au cœur de la jungle sont hasardeux et les complications nombreuses. Serpents, maladies, températures. Tant de critères qui nous mènent vers la route intrépide de l’imprévisibilité. Cela justifie la résistance des studios. Mais malgré ces innombrables refus, le cinéaste n’a jamais souhaité aplanir ses conditions. L’authenticité qu’il recherche tant – notamment avec la pellicule argentique 35 mm – il veut la capturer dans l’artère-même de son sujet, directement à sa source, au plus profond de l’Amazonie. Ajoutons à cela plusieurs désistements pour le premier rôle, Brad Pitt (qui endossera alors le rôle de producteur délégué via sa société Plan B Entertainment), puis le britannique Benedict Cumberbatch. Finalement, sept longues années se sont écoulées avant l’aboutissement final de ce beau projet.
The Lost City of Z, est l’adaptation du roman éponyme La Cité perdue de Z écrit par David Grann ; lui-même inspiré des aventures du célèbre explorateur Percy Fawcett. L’histoire débute en 1905 à Cork, en Irlande. Percy Fawcett est major de l’armée britannique et la première séquence, retraçant une chasse au cerf, est renversante tant par sa mise en scène maîtrisée que par son montage nerveux, tel les palpitations d’une veine qui se gonfle et se contracte. L’image semble alors respirer. Hélas nous comprenons bien vite que le jeune Percy ne sera jamais récompensé pour son courage ou sa hardiesse, ses racines étant entachées par un nom de famille proscrit. Malgré ses efforts et son dévouement, les médailles glisseront sous ses doigts. Et lorsqu’une année plus tard, la Société géographique royale d’Angleterre lui offre de partir en Amazonie afin de cartographier les frontières entre le Brésil et la Bolivie, la lumière semble enfin se cristalliser. Il y voit une occasion de prouver sa véritable valeur et de laver son nom. Il s’engage dans cette expédition risquée et lointaine. Lors de son voyage, il découvre des traces d’une ancienne et mystérieuse civilisation perdue. Percy Fawcett (interprété avec excellence par Charlie Hunnam) sombre alors peu à peu dans une obsession si puissante qu’elle ne peut être asservie ou réprimée. Ni par le scepticisme scientifique qui doute de l’existence de cette mystérieuse cité d’or, ni par l’amour inconditionnel de sa famille qui s’incline avec élégance devant ses absences à répétitions. Pourtant sa soif d’exploration prend davantage d’ampleur jusqu’à devenir son seul objectif. Les certitudes ne sont palpables que lorsque l’on décide de leurs propres crédibilités.
The Lost City of Z, est l’un des plus grands chef-d’œuvres de notre siècle. James Gray nous offre une aventure intense et bouleversante, mais en s’émancipant des schémas traditionnels. Ici, point de cascades exceptionnelles ou d’esclandres bruyantes. Le classique du genre s’efface, laissant place à la modernité. Le tout véhiculant une idée générale de dépaysement. The Lost City of Z, se hisse au sommet du film d’aventure de part son immersion transcendante. L’atmosphère nous enveloppe en douceur et pendant ses deux heures et demie de film, nous avons l’impression de faire partie du voyage. Ceci grâce à la mise en scène du cinéaste, mais aussi la lumière crépusculaire de Darius Khondji qui éclaire chaque sentier. Hasard du calendrier, ce dernier, qui avait déjà collaboré avec Gray sur The Immigrant, sera à l’honneur d’une rétrospective à la Cinémathèque Française (15 mars au 7 avril 2017). Tout concorde à faire vivre aux spectateurs l’expérience inouïe des personnages. Du son ambiant de la forêt jusqu’au réalisme des interactions avec les indigènes que croisent nos héros ou les douloureuses conséquences des piqûres de moustique. Une immersion totale qui nous propulse dans une époque, dans un décor amazonien à la fois merveilleux et hostile, au contact de civilisations oubliées, mais surtout dans les méandres de l’esprit de Percy Fawcett. L’aventure réside avant tout en lui. Dans son envie presque vitale de se couvrir d’honneurs après avoir tant été réprouvé et diffamé. Cette envie de grandeur, de noblesse, de reconnaissance. Cette envie d’être quelqu’un d’important. Cette envie de laisser une empreinte, de participer à la grandeur de son monde. Cette envie de gloire au profit de sa famille qu’il délaisse presque autant qu’il l’aime. Ici, l’aventure est un écho de l’exaltation humaine.
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