Fraîchement sorti le 3 février 2017, Shikantaza est sans aucun doute l’album hip hop le plus attendu de ce début d’année. Il y avait longtemps déjà qu’on n’avait pas croisé la route des Français de Chinese Man, sans doute une des plus belle réussite francophone de ces dernières années, non seulement musicalement – renforcée par des collaborations toutes plus prestigieuses les unes que les autres -, mais aussi de par leur label dont le catalogue a de quoi rivaliser avec des structures bien plus importantes. L’histoire de « l’homme chinois » nous a marqués, par le passé, lui qui a raconté tant de choses incroyables. Pas question de louper une seule miette de ses nouvelles aventures. Shikantaza, qui signifie être assis sans rien faire, n’aura jamais aussi mal porté son nom que lors de ce concert, un soir chaud de mars de Perpignan.
Car nous avions fait le déplacement pour l’occasion à l’autre bout de l’Occitanie, dans la petite salle d’ElMediator, que Chinese Man connait déjà bien pour y être passé à plusieurs reprises. On découvre l’endroit alors que Scratch Bandits Crew est déjà en train de chauffer la salle à grands coups de Big Pimpin’ Remix ou de Soundboy. Les petits protégés de Chinese Man remplissent aisément leur office. Il faut dire que la salle n’est pas très grande, notamment sa scène. Elle est en revanche très accueillante. La proximité entre le public et les artistes permet de créer un échange quasi immédiat.
Scatch Bandits Crew ne tardera pas à céder la place. Et de la place il n’y en aura plus beaucoup sur scène, lorsque la grosse table de mixage avec sa déco japonisante sera mise en place, imposante et surplombée par un écran blanc en fond de scène. Le public comprend vite qu’on passe aux choses sérieuses. Les sons d’origine asiatiques nous parviennent petit-à-petit, l’écran à l’arrière s’allume et laisse entrevoir des dessins qui s’animent jusqu’à l’explosion musicale qui fait se lever les trois DJ, Zé Mateo, High Ku et SLY, restés cachés jusque-là derrière leur table de mixage. Le titre éponyme de leur dernier album est donc lancé et remplit la lourde tâche de poser le cadre de la soirée, son ambiance, son univers.
Le public ne tarde pas à répondre présent tant ces sonorités, tantôt chinoises, tantôt indiennes étaient attendues et désirées. Car il ne faut pas oublier que Chinese Man, c’est maintenant plus de dix ans de carrière, avec des tubes devenus internationaux comme I’ve Got That Tune. Un mélange de sonorités tellement varié qu’il est bien difficile de cataloguer le groupe. Il emprunte aussi bien au hip hop qu’à l’électro, le funk, le trip hop, voire au dub. Un groupe qui sample tout un tas de choses et qui rend jusque-là des copies des plus intéressantes. Shikantaza n’échappe pas à la règle.
D’autant que le collectif met les petits plats dans les grands, accompagné de pas moins de trois chanteurs – pas vraiment les derniers nés – qui se succèdent ou qui se partagent la scène. Parmi eux, on retrouve A State Of Mind, dit ASM, mais aussi Youthstar qui forment ainsi, avec Scratch Bandits Crew, la Chinese Man Family.
Tout est donc réuni pour satisfaire amplement le millier de spectateurs qui a complètement rempli la salle de Perpignan. Et les promesses ont été tenues. Le public réagit à chaque morceau et s’en donne à cœur joie. Avec autant d’atouts dans la manche, le hip hop a la part belle et ce sera sans aucun doute le principal reproche que l’on peut faire à ce concert. On a connu un Chinese Man généreux et diversifié, qui cédait la place à des sonorités venues d’ailleurs et qui mettait en œuvre une recette inédite de chansons remplies de mixité et de d’originalité. Shikantaza avait cela dit annoncé la couleur avec des chansons plus hip hop que sur les précédents opus, ne soyons pas surpris. Cependant, le plaisir et l’envie qui découle de l’écoute de la platine, ponctué comme toujours par de petites interpellations savoureuses et de nombreuses nuances, ne s’est clairement pas retrouvé de façon aussi forte sur scène.
Il est vrai qu’il est parfois difficile de reproduire à l’identique un album, avec son corollaire extrême, le manque de folie, de surprise, voire d’envie. Et qui sommes-nous également pour exiger une seule et unique version des choses ? D’autant plus qu’au regard de la réaction du public, il est bien difficile d’être exigeant, tant les spectateurs ont semblé comblé. Il faut dire que ASM et ses petits copains ont de l’expérience et la scène dans la peau. Bien aidé par une lumière et une mise en scène efficace et travaillée, Chinese Man emporte tout sur son passage. Les chansons s’enchainent sans pause ni répit.
Nous voilà donc dans une situation un peu inédite face au constat d’un concert objectivement réussi, mais qui ne parvient pas à nous convaincre entièrement. C’est peut-être lié à une évolution dans l’approche et l’écoute de Chinese Man, mais aussi à une attente qui n’a pas été satisfaite. Celle de ne pas retrouver ce qui a fait la force du collectif : le mélange des styles. Loin de nous l’idée de dire que cela n’était pas le cas, car cela ne serait que pur mensonge. Mais ce qui devait être la force de ce concert est devenu très rapidement son point faible. Où sont passés le dub de Warriors, les mélodies entêtantes de Liar, single puissant du dernier album, les différents cuivres et les cordes qu’on retrouve au hasard dans The New Crown, mais aussi dans tout un tas d’autres chansons qu’on ne pourrait pas lister ? Tout cela se retrouve malheureusement noyé derrière des interprétations fortes et impressionnantes de nos chers acolytes chanteurs hip hop. Même I’ve Got That Tune arrivé plus tardivement pour faire languir le public, ne parvient pas à sortir son épingle du jeu, et passe presque inaperçu dans une version travaillée pour l’occasion.
Alors quelle conclusion apporter à cette soirée ? Que Chinese Man s’est perdu dans les méandres d’un hip hop trop présent alors même qu’il est issu de cette famille ? Que le groupe n’a pas atteint ses objectifs alors même que le public était comblé ? Que leur dernier opus est difficile à défendre alors qu’il contient de très jolies chansons ?
On ne peut pas pas reprocher à Chinese Man de se faire plaisir sur scène, d’autant que manifestement, celui-ci était réciproque dans la salle. On regrette que la marchandise ne corresponde pas tout à fait à son emballage. Nous n’avons pas retrouvé l’intro puissante et mélodique de Wolf ou de Modern Slave, magnifique chanson, emportée par son chant hip hop. Les parties instrumentales que Chinese Man maitrise pourtant à la perfection se sont faites rares, et nous n’en jetterons pas plus. Chinese Man sur cette tournée a choisi d’être résolument hip hop, voilà une bonne nouvelle pour les amateurs du genre, mais qui laissera un peu sur le côté celles et ceux qui était venus pour ce mélange si exotique et original.
Note:
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