On ne peut demeurer un « Feat. » luxueux toute sa vie. C’est la remarque qu’a du se faire Sampha Sisay en attaquant la composition de son premier opus, après deux EP de bonne facture. Car si le Britannique au timbre cristallin est devenu un artiste qui compte dans la musique contemporaine, c’est avant tout par ses apparitions remarquées dans certains des meilleurs titres ou albums parus ces dernières années. Travailler avec SBTRKT, Drake, Solange, Frank Ocean ou Jessie Ware c’est bien, mais sublimer leurs titres, voire littéralement leur voler la vedette, ça attise plus qu’une simple curiosité, mais un violent désir. Désir de voir l’artiste voler de ses propres ailes, se dévoiler. C’est là, toute la beauté de Process, un album fragile, comme une mise à nu. Il s’ouvre d’ailleurs sur la splendide Plastic 100°C où Sampha fait part des difficultés à affronter les « lumières magnétiques » et « chaudes » qu’impose sa célébrité grandissante sans s’y brûler, tel un Icare des temps modernes. En dehors de ces problématiques habituelles, le chanteur-compositeur-producteur (il l’est essentiellement sur l’album avec Rodaidh McDonald, connu pour son travail avec The XX) ose partager des visions plus oniriques et cauchemardesques, comme dans l’étrange et sublime single Blood On Me où il s’imagine attaquer par des créatures assoiffées de son sang qu’on pourrait facilement associée aux opportunistes qui sont rentrés dans sa vie après avoir abandonné l’anonymat.
Mais, par delà les failles et la nostalgie, comme sur (No One Knows Me) Like The Piano qui fait référence à son enfance, Sampha fait en même temps preuve d’une maîtrise de son art particulièrement affolante. La gestation fut longue, donc, pour un coup d’essai toutefois transformé en coup de maître. Des promesses à Process il y avait un pas de géant à faire, et Sampha n’a finalement pas déçu. Album léché, production soignée, songwriting sophistiqué, tout l’ensemble de l’œuvre est mise au diapason du chant si singulier et exigeant de Sampha qui avait marqué tous ses auditeurs dans le passé. En témoigne l’enchaînement ahurissant des quatre premiers titres, aussi hétérogènes que parfaits. Plastic 100°C, Blood On Me, Kora Sings et (No One Knows Me) Like The Piano sont toutes différentes : les deux premières ont tout de « hits » Post-R’n’B, quand la troisième évolue dans des contours plus expérimentaux (entre orientalisme et futurisme) et la dernière démontre la capacité de l’artiste à émouvoir dans le dénuement total (le couple piano-voix).
Même si la suite de Process ne reste pas du même acabit – quelques essoufflements sur les légèrement plus convenus Take Me Inside, Incomplete Kisses ou What Shouldn’t I Be – il n’en reste pas moins d’une grande cohérence et ce malgré sa propension à s’éparpiller sans jamais tomber dans la confusion. Reverse Faults aurait pu par exemple être produite par Oneohtrix Point Never, en accomplissant les envies d’avant-garde du chanteur, tandis que Timmy’s Prayer feint l’accalmie et le zen nippon, dont l’identité sonore empreinte beaucoup, pour mieux se scinder en deux et accélérer son tempo tout en allant crescendo dans l’émotion. Process est donc un diamant aux multiples facettes qu’on prend plaisir à contempler ou plutôt s’y perdre et s’y retrouver dans les confessions intimes et magiques de Sampha. Car en plus d’être un fabuleux manifeste qui rassure définitivement sur la valeur de son géniteur, cet album passionne parce qu’il affirme Sampha Sisay comme un artiste qui s’adresse à tous, qui garde les pieds sur terre tout en s’envolant avec grâce et nous emmène avec lui.
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