Si tous les films de Stanley Kubrick ont suscité beaucoup d’analyses et d’exégèses, on croyait a priori que celui de sa filmographie qui avait fait couler le plus d’encre était 2001 : L’odyssée de l’espace. Pour beaucoup, il demeure en effet un mystère, du fait-même de sa construction et de l’absence d’explications concernant la signification du monolithe noir ou du fœtus astral. Et bien que nenni ! Room 237 – un documentaire autour de Shining – nous permet de découvrir que l’adaptation du roman de Stephen King réalisé par Kubrick en 1980, est aussi l’objet d’un nombre extravagant de théories qu’il répertorie sans souci de trancher entre les plus vraisemblables (ou plausibles) et les plus fantaisistes.
Aviez-vous aperçu le visage de Stanley Kubrick dans les nuages à l’instant précis où son nom apparaît pendant le générique ? Saviez-vous que Shining était un film sur l’extermination des Indiens d’Amérique ? Connaissiez-vous la théorie selon laquelle le film est une allégorie de la Shoah ? Un moyen déguisé pour Kubrick d’exprimer sa culpabilité cachée d’avoir filmé en studio l’alunissage de la capsule Apollo en 1969 ? Non ? Vous êtes alors sans doute passé à côté d’un message caché, d’une interprétation secrète, que seuls quelques observateurs parmi les plus attentifs auront notés à force de visionnages répétés, de décorticage image par image et dont la révélation les hisse au rang d’une minorité d’élus.
Le principe sur lequel s’appuie Room 237 est qu’il est impossible qu’un réalisateur d’une intelligence supérieure comme Stanley Kubrick – dont le QI était de 200 – et perfectionniste comme il était, ait pu simplement mettre en scène une histoire de fantômes sans qu’elle contienne forcément un sous-texte implicite. Le fait que le film soit l’un des plus mal aimés de Kubrick a sans doute aussi joué dans cet exercice critique où chacun projette sur une œuvre ses propres fantasmes pour les substituer au dessein initial de son metteur en scène. Le petit jeu auquel on pourra se prêter à la vision de Room 237 sera alors de noter l’écart entre les théories annoncées et la probabilité des intentions de Stanley Kubrick.
Faut-il donc prêter du crédit à la théorie de l’extermination des natifs américains sur la simple foi qu’une boîte de conserve étiquetée « Calumet » apparait par deux fois dans un coin de l’image ? Que l’hôtel Overlook soit bâti sur un ancien cimetière indien ? Que le portrait d’un grand chef de tribu est affiché dans le hall du bâtiment ? Pas vraiment, on pourrait aussi être tentés de parler de hasard et que certains de ces éléments étaient déjà contenus dans le roman… Que dire de la théorie complotiste concernant les premiers pas de l’homme sur la Lune que Kubrick aurait tourné en studio. Shining aurait été un moyen pour lui de passer aux aveux en envoyant des signaux codés au spectateur : le pull Apollo 13 de Danny, Jack Torrance qui hurle à sa femme « Sais-tu ce que c’est que d’avoir des responsabilités vis-à-vis de son employeur ? », le porte clé « Room 237 » qui évoquerait « Moon 237 » (la distance en miles entre la Terre et la Lune)…
D’autres éléments d’analyse sont moins fantaisistes et suscitent la réflexion. Mais le problème est que toutes les théories s’enchaînent sans aucune hiérarchie et surtout sans aucune possibilité d’identifier ceux qui les exposent. Sont-ce des critiques de cinéma, de simples amateurs éclairés ou des geeks au stade ultime de leur pathologie ? Dans sa façon de ne jamais se départir d’un sérieux imperturbable, Room 237 devient petit à petit un complément idéal de Shining, un projet totalement schizophrène dont la folie nous contamine de la même façon que celle de Jack Torrance a infecté tous ceux qui témoignent dans le film. Les esprits de l’Hôtel Overlook ont encore frappé… !
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