Froid, intense, désagréable. Voilà ce que dégage le début de la lecture de BLAST. Nous évoluons dans une ambiance oppressante où vous êtes avec cet individu sale, gras, dégoûtant qui reflète tout ce que notre société rejette. Et pourtant, vous êtes-là avec lui. Vous allez le suivre, apprendre à le connaître alors qu’il est tout ce que vous n’aimez pas, tout ce qui vous dégoûte. Il vous montre sa nouvelle vie qui est une quête permanente de la liberté. Ce choix le rend marginal aux yeux de notre société. Il ne rentre dans aucune case. Et au bout d’un moment, vous vous demandez s’il a raison ? Est-ce vraiment ça, vivre ? Passons-nous à côté de quelque chose ?Tous les idéaux que prône notre société tels que l’argent, l’apparence, la consommation, la vie en communauté… Est-ce le bon chemin à suivre ?
C’est l’histoire de Polza Mancini. Un homme de plus de 150 kilos, âgé de 38 ans. Il est connu pour être écrivain gastronomique. L’histoire commence au commissariat dans une salle d’interrogatoire avec deux flics. L’un est plutôt diplomate et l’autre gorille pas très patient. La question est « Qu’est-il arrivé à Carole ? ». L’intrigue est posée car Polza ne compte pas réponde à la question si facilement. Il a décidé de raconter son parcours de A à Z. Et si les flics ne sont pas d’accord avec ça, ils peuvent se gratter. Ce ne sont pas quelques coups ou le jeu du gentil et du méchant flic qui vont le persuader d’arriver aux faits.
Polza nous raconte le commencement de sa nouvelle vie qui a débuté à la mort de son père. Choqué, il s’imbibe d’alcool à en perdre connaissance. A ce moment là, il fait un Blast. Un Blast c’est une sensation de transe, le trip ultime où nous nous sentons légers, au-dessus de tout, déchargés de toutes pressions. A partir de ce moment, Polza va consacrer le reste de son existence à la recherche de ce Blast. Là, va commencer une succession d’événements et de rencontres qui vont frôler, dépasser les interdits et les limites de l’être humain civilisé. Il choisit l’errance en se retirant dans la nature. Il va vivre loin de toutes civilisations et de tentations, avec pour seule compagnie des barres chocolatés et l’alcool qui va lui permettre de retoucher au Blast. Mais celui-ci ne vient pas à la demande. Ce laisser-aller total va provoquer des péripéties plus ou moins drôles qui vont nous amener tranquillement vers Carole Oudinot.
Manu Larcenet livre une œuvre proche du thriller. Il a utilisé un style graphique fait de noir et blanc qui nous plonge dans une ambiance étouffante pleine de suspense où l’on sait que la noirceur du personnage va nous être racontée. Il favorise un style épuré, une narration lente et faible qui nous met au niveau de son personnage principal. A l’inverse, il joue avec les couleurs pour nous montrer les évasions heureuses de Polza à travers le Blast. L’auteur a fait le choix d’un récit avec beaucoup de pages, de blancs et de silences. Son œuvre fait penser aux mangas. Il dit lui-même lors d’une interview pour la maison d’édition Dargaud : «J’en ai eu envie en lisant des mangas, comme Taniguchi, qui fait des pages entières avec des gros plans de « silences ». Il y a une ambiance très particulière. J’ai eu envie de ce côté zen, de prendre le temps de faire ses plans… Il y aura très peu de texte». Cette citation résume bien son œuvre. BLAST est une bande dessinée qui ne se lit pas en trente minutes. Il faut aimer prendre le temps de contempler des esquisses de la nature et d’analyser les traits fins des gueules cassées des différents personnages. De plus, il ne faut pas s’attendre à des planches surchargées et remplies de détails. Manu Larcenet nous offre une approche simple et épurée du dessin. Il utilise la théorie des trois traits (technique de dessin avec un nombre limités de traits).
L’auteur dessinateur Manu Larcenet nous offre donc trois tomes où l’histoire de Polza Mancini s’assombrit peu-à-peu. Avec le dernier volume, La tête la première, il décide de nous montrer la violence liée à l’errance. Certaines scènes peuvent heurter les plus sensibles d’entre-nous. Certains trouveront que Manu Larcenet tombe dans la facilité et dans l’excès. Lui se défend en expliquant : «La violence est itinérante à la rue». Il avoue que l’écriture de ce tome a été difficile. Pour lui, l’exercice du dessin est comme être en transe. Il a eu besoin de se mettre dans un état de colère pour réaliser ce tome 3. Il souhaitait que Polza Mancini aille jusqu’au bout de ce qu’il peut subir. Pour Manu Larcenet, la noirceur dans laquelle tombe son personnage principal a pour but de répondre à une question lors du tome 4 final. Comment réagit une personne blessée ?
Si vous avez dévoré les trois premiers tomes de BLAST et avant la sortie du prochain, vous pouvez vous tourner vers Le Combat Ordinaire de Manu Larcenet qui a obtenu le prix du meilleur album au festival d’Angoulême en 2004.
Blast, disponible en librairie (Dargaud)
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