Créé par Kurt Vile et Adam Granduciel en 2005, The War on Drugs perçait réellement en 2011 avec l’album Slave Ambient, mais Kurt Vile avait déjà quitté le groupe pour se concentrer sur sa carrière solo. Il y a d’ailleurs d’étranges consonances entre la voix de Granduciel et celle de Kurt Vile, comme si les deux compositeurs-interprètes revenaient hanter les albums de l’un et l’autre.
À la parution de Slave Ambient, les critiques furent unanimes : un « son » était né. Si Kurt Vile reste attaché à un folk psychédélique gardant ses origines garage jusque dans l’étirement des morceaux, Adam Granduciel – déjà sur l’album précédent -, puise dans le kraut-rock de Neu pour le mélanger au shoegaze du début des années 1990, en faisant passer tout ça par un Americana Dylanien élastique, poussé jusqu’à la transe.
Lost in the dream prolonge cette même veine. De longs morceaux, empilant les couches de guitares, basses, synthés… L’album dure une heure, et la première écoute siphonne l’auditeur qui semble n’avoir écouté qu’un seul long titre, parfois ralentissant, parfois subitement accéléré. La dernière piste va tout changer, In Reverse, peut être le meilleur morceau de l’album et potentiellement du groupe. Il commence par un brouillard glacial, extrêmement massif, installé, qui va se métamorphoser en un épique hymne folk très entêtant. On revient ensuite sur l’ensemble des morceaux, petit-à-petit la brume s’éclaircit, et la lumière intense aperçue sur In Reverse finit par envahir tout l’album.
The War on Drugs c’est du pain béni pour la critique. L’affichage évident des références pourrait amener à un papier en forme de suite de citations, qui irait de Bob Dylan donc, jusqu’à Ride en passant par les groupes Kraut des année 1970 comme Faust ou Neu. Mais cet amoncellement est tel que les références en question s’écroulent, s’interpénètrent et finissent par n’être que reconnaissables, rétrospectivement. La puissance de titres comme Eyes in the wind – ou le morceau Under Pressure qui ouvre l’album – ramène la musique vers un présent de son écoute et de sa création, écartant tout postmodernisme possible. L’album est habité, on écoute bien un groupe qui joue, et pas un disque qui ne serait que production.
Par rapport aux albums et eps précédents, le son a dilué l’écriture des morceaux d’une manière encore plus radicale, les solos plus présents qu’avant ne peuvent pas vraiment être qualifiés en tant que tels, comme ce saxophone sur la dernière partie d’ eyes in the wind, que l’on remarque peut être une minute après son apparition. Quant à la voix de Granduciel, elle subit le même traitement : sur le morceau Disappearing, il semble ne plus arriver à chanter, sa voix se fond dans les effets et le rythme Kraut et le morceau prend des allures de transe électronique, à l’image de l’effet « delay » de la caisse claire qui rebondit pendant toute la chanson.
Labyrinthe en ligne droite, l’album se clôt donc par ce chef d’oeuvre, In Reverse… Morceau progressif, éclairé par une guitare sèche qui viendra souligner les sublimes harmonies vocales et instrumentales. Un piano quasi blue-grass rappelle également que le territoire sur lequel cette musique s’imprime est ouvert, tendu et est bien celui des grandes routes et des horizons inatteignables.
« Is there room in the dark, In between the changes ?
Like a light that’s drifting, In reverse I’m moving. »
l’album ainsi devenant le récit d’une route hésitant entre l’ombre et la lumière, le récit d’un homme tournant sur lui même, pris dans ses superpositions de couches sonores, mais laissant incarner sa musique dans les cordes des guitares et les touches des pianos.
The War on Drugs – Lost in the dream – Dans les bacs (Secretly Canadian)
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