Tim Burton : le nom est quasiment devenu celui d’une trademark. Tim Burton®, un label rassurant pour le spectateur qui sait à l’avance à quoi s’attendre sans trop se tromper. Imagerie gothique, univers décalé et extravagant, kitch et nostalgique, souvent issu de la culture populaire (Lewis Carroll, Roald Dahl, Batman…), galerie de freaks dont la monstruosité et la marginalité sont la norme à l’inverse d’une normalité vécue comme menaçante, musique de Danny Elfman, Johnny Depp comme figure fidèle, attifé et fardé selon les délires du maître de cérémonie, jusqu’au grotesque. Tous ces signes sont admis, entrés dans l’inconscient collectif des spectateurs comme une culture commune et qui suffisent à les satisfaire. – «Tu as vu quoi dernièrement ?» – «Le dernier Tim Burton». Tout est dit. On ne parle plus d’un metteur en scène, mais presque d’une rock star, adulée et idolâtrée comme tel, jusqu’à l’irrationnel. – «C’est quoi le dernier bon film de Tim Burton que tu as vu ?» – «Heuuuuu… !».
Les artefacts burtoniens sont en effet à la fois les signes distinctifs de son œuvre, mais aussi le rideau de fumée qui entourent les films, dont il faut admettre qu’ils connaissent depuis Sleepy Hollow une courbe descendante. Incapacité à renouveler les motifs, auto parodie, la filmographie de Tim Burton tourne en rond depuis 1999. Il n’est pourtant pas illogique que l’exposition de la Cinémathèque Française qui lui est consacré en ce moment soit un tel succès : alignés dans un musée, ses avatars remplissent leur fonction iconique au-delà des films dont ils sont issus. On croyait que son dernier opus, Dark Shadows, allait refroidir l’enthousiasme de cette célébration bienveillante, en considérant son récent Alice au pays des merveilles de triste mémoire. Que nenni ! Derrière la bande-annonce qui faisait craindre le nanar en puissance, c’est contre toute attente le meilleur film de son auteur de longue date.
Attention, pas de quoi grimper au plafond non plus ! Mais Dark Shadows contient suffisamment de qualités pour suffire à redorer le blason d’un auteur moribond. Son souci principal est qu’il échoue à dire quoi que ce soit si ce n’est de se poser comme une forme hybride entre Les Visiteurs – un vampire enfermé deux cents ans dans un cercueil est libéré en plein milieu des années 70 – et La famille Adams. Les gags reposent exclusivement sur le décalage des époques entre un lord Anglais (et suceur de sang, donc !) débarqué dans une société américaine en plein période flower power : Incompréhension du monde qui l’entoure (le «Méphistophélès» lancé à l’enseigne Mc Do !) , anachronismes, langage victorien et manières aristocratiques décalées… Sa rencontre avec une bande de hippies illuminés est hilarante, comme le déclenchement de la boîte à rythme bossa nova d’un orgue électronique sur lequel il pose la tête en plein désarroi.
Le rythme ne faiblit jamais vraiment, la bande originale est dopée aux standards de l’époque (Barry White, The Carpenters, Alice Cooper, etc.), le production design est soigné, mais pour le reste… il manque ce qui ferait de Dark Shadows un grand film. L’histoire de la poissonnerie locale désintéresse. La relation de fascination/répulsion entre le vampire et la sorcière qui l’a maudit aurait pu aboutir à une belle histoire tragique. Chaque personnage de la famille aurait mérité son arc narratif propre d’autant plus qu’il y a du beau monde dans la distribution. On restera donc nostalgiques de la période 1985/1999 de Tim Burton, celle de Beetlejuice, d’Edward aux mains d’argent, de Batman ou d’Ed Wood, période pendant laquelle le réalisateur a produit ses plus beaux chef d’œuvre qui lui ont valu sa réputation, mais qu’il n’est certainement pas prêt d’égaler aujourd’hui.
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