A l’issue de la projection du dernier film de Francis Ford Coppola, on ne peut pas s’empêcher de penser à quel point c’est rare et beau un artiste qui jouit d’une liberté si pleine et totale. Avec Twixt, le réalisateur administre en effet la preuve manifeste qu’il n’est nul besoin de se soumettre aux diktats des studios pour faire du grand cinéma, inventif, inspiré, déroutant. Certes, beaucoup riront d’une facture formelle qui pourrait rapprocher le film d’une bonne série Z des familles, d’autres reprocheront un humour de situation absurde digne d’un bon nanar. Pourtant, c’est dans cet aspect totalement décomplexé que Twixt va puiser ses plus belles richesses et s’impose comme une œuvre essentielle, et sans doute le premier grand film de 2012 qu’on attendait, contre toute attente.
On a beau être surpris, on ne peut pas nier que Coppola a toujours dans sa filmographie opté pour une prise de risque maximum qui l’a souvent précipité lui et les studios qui le produisaient aux bords du gouffre financier. D’Apocalypse Now et son tournage pharaonique en pleine jungle, à Coup de cœur, fantaisie musicale expérimentale entièrement tournée en studio, Coppola a sans cesse renouvelé ses formes d’expression à un très haut niveau d’exigence, sans jamais se reposer sur ses lauriers créatifs. Au point même d’alterner deux signatures, Francis Ford Coppola étant celle réservée à ses projets les plus personnels. Pour étonnant qu’il soit, Twixt s’inscrit donc dans une suite logique et tente de répondre aux questions suivantes : quel film réaliser quand on est l’auteur aussi respecté et influent de la trilogie du Parrain et de Conversation secrète ?Dans la folie mégalomane, peut-on remonter encore plus haut la rivière Nung quand on a déjà tué le Colonel Kurtz ? La réponse ne manque pas de panache, Coppola a décidé d’exercer son métier de metteur en scène dans une micro économie quasi familiale (auto production, tournage à proximité du domicile) pour se permettre une liberté de ton que beaucoup doivent lui envier et expérimenter les matières que lui autorise le numérique.
Twixt fait penser précisément à deux films de Coppola, pour des raisons différentes mais qui se rejoignent malgré tout. Rusty James, tout d’abord, et ses nuages qui filent en accéléré, ses plans répétitifs sur des horloges qui signifient le passage du temps, son noir et blanc somptueux traversé d’inserts en couleur de poissons rouges, son travail méticuleux sur la bande son, les percussions de Stewart Copeland, le batteur de Police, la voix d’outre tombe de Mickey Rourke, la moto qui trace sur une file comme suspendue dans le temps. Ce film-là est sans doute l’un des plus méconnus de Coppola, c’est pourtant l’un de ses chefs-d’œuvre des années 80. Il trouve son écho dans Twixt qui en reprend les artifices pour les renouveler. L’autre film dans lequel Twixt trouve une résonance est Dracula et sa manière de faire tenir le mythe du vampire dans l’avènement du cinématographe, du muet à l’expressionnisme allemand en passant par le baroque.
Twixt aussi puise allègrement dans l’imagerie gothique, essentiellement littéraire – vampires, fantômes, romantisme, Edgar Allan Poe – pour en faire une rêverie somnambulique qui s’autorise tout, sans honte ni crainte du ridicule. Coppola remet son ouvrage sur le métier, tel un apprenti réalisateur plein de modestie et d’humilité, il ré-apprend avec de nouveaux codes, de nouveaux outils, comme David Lynch avant lui quand il met en scène INLAND EMPIRE. De Lynch, on retrouve aussi l’univers si particulier de Twin Peaks, son shérif décalé, ses habitants atypiques, les songes dans lesquels on se perdrait si des guides n’aidaient les rêveurs à interpréter les signes, à trouver la vérité. Dans Twixt, le trauma de l’écrivain renvoie à la mort d’un enfant, drame qu’a connu Coppola. Il situe aussitôt le film dans une réflexion autobiographique, intime et nostalgique qui révèle la véritable intention du réalisateur : un travail de deuil qui ne cesse de le hanter.
Note: