En quelques albums, Tony Sandoval est en train de s’imposer comme un auteur incontournable du 8ème art, avec un univers très singulier qui navigue dans les eaux troubles de l’adolescence entre réalisme et onirisme, violence et poésie, émotion et noirceur de propos. Avec Doomboy, l’auteur confirme son talent de dessinateur/ scénariste. Il affirme son style au sein d’un univers teenage qui développe sur le mode adulte les thématiques du deuil, de la sexualité et de l’homosexualité, de la transformation du corps et du passage à l’âge adulte. L’histoire se déroule dans une petite ville côtière : D. est une sorte de clone de Kurt Cobain, un jeune guitariste qui vient de perdre sa petite amie et qui va en faire le deuil en jouant des sessions de guitare retransmises clandestinement par radio et écoutées par tous les amateurs de rock. Il va devenir célèbre à ses dépens sous le nom de Doomboy, et pourra refermer le trou énorme qui était apparu au milieu de sa poitrine.
« Je crois que l’adolescence est la période de la vie la plus intéressante, avoue Tony Sandoval. Il y a des changements dans toute une vie d’humain mais la métamorphose qu’on vit à ce moment-là est tellement énorme que je trouve que ça se prête beaucoup aux histoires. Quant au thème du deuil, qui est au centre de Doomboy, il me tient à cœur car j’ai perdu un ami qui habitait à côté de chez moi quand j’avais onze ans. Cette expérience de la mort, de la tristesse, de la mélancolie, je ne l’ai jamais vécue à ce point par la suite. ».Son accent trahit ses origines mexicaines. « J’ai grandi au nord-ouest du pays, dans un contexte très tex-mex, nous dit-il. Mon grand-père avait une ferme, je travaillais là-bas. Au Mexique, il y avait beaucoup de BD à l’époque, pas très chères, on en trouvait partout. Ce n’était pas de la grande littérature, surtout des histoires de cow-boys, de révolutions mexicaines, de super héros. Moi, j’aimais beaucoup les animaux, donc comme j’habitais la campagne, je dessinais beaucoup les insectes, les bêtes. J’ai ensuite fait de l’illustration pour des albums de jeunesse et de l’illustration éditoriale. Mais comme j’aime raconter des histoires, je suis venu à dessiner de la bande dessinée. »
Voilà qui explique la fascination de Tony Sandoval pour le règne animal et la façon dont il s’inspire des céphalopodes pour dessiner les créatures qui peuplent ses albums, des bêtises du Xinophixérox à Doomboy. « C’est vrai que j’aime le poulpe, le calamar. C’est d’ailleurs le symbole de la collection que je dirige au sein des éditions Paquet. Il y a en eux quelque chose d’érotique, de magique, de quasiment extra-terrestre dans leur façon de s’adapter à leur environnement, de se métamorphoser. Ces créatures sont aussi influencées par Lovecraft dont je suis un très grand fan. ».
De la nature également, Tony Sandoval injecte dans ses pages un formidable sens de l’observation des phénomènes météorologiques. Le ciel est souvent omniprésent, les tempêtes ont quelque chose de divin, exercent une fonction à l’intérieur du récit. « Les phénomènes atmosphériques sont des personnages à part entière de mes BD. Ils donnent de la force, du poids à l’histoire. J’aime quand il ne fait pas beau, que le ciel est agité. Je suis très solitaire, j’aime beaucoup me promener et observer les nuages. Cependant, je vis à Paris ! Et l’été est un véritable cauchemar pour moi, les terrasses sont surpeuplées, il fait une chaleur épouvantable. J’ai besoin de la présence de la mer, du vent, ça me rappelle mon adolescence avec mon frère. »
Dans Doomboy, la musique est omniprésente et joue un rôle important dans l’histoire et l’évolution des personnages. « Je jouais moi-même dans un groupe de doom metal, nous dit Tony Sandoval, ça a été un moment important dans ma vie, quand tu commences à découvrir ton ego. Aujourd’hui, chaque fois que j’écris une BD c’est comme si je faisais un album de musique. Je dessine chaque chapitre comme des chansons qui ont une ambiance et un goût différents, tout en gardant une certaine homogénéité. C’est surtout vrai pour Doomboy, sans doute moins pour le Cadavre et le sofa qui était plus cinématographique. » Une chose est sûre, c’est que Tony Sandoval façonne un univers d’une grande cohérence à la fois thématique et graphique. On reconnaît ainsi ses personnages du premier coup d’œil. « Avant, je les dessinais de façon très différente. Puis je me suis demandé ce que ça donnerait si je changeais ma manière de faire. Un jour je lisais un manga que j’adore, Blame, et je me suis dit, je vais faire un truc complètement anti manga, avec des petits yeux, des corps très fins. Je ne suis pas l’ennemi des mangas mais j’ai commencé à jouer avec ça, à essayer des choses et ça m’est resté. »
Tony Sandoval nous avouera être mauvais guitariste. Si la musique reste une immense source d’inspiration, son talent relatif à jouer de la six cordes a certainement été un élément décisif dans sa décision d’écrire des bandes dessinées plutôt que de s’investir dans un groupe de doom metal. Sur la foi de sa déclaration, on ne peut que saluer ce choix, tant le bonhomme construit une œuvre qu’il faut absolument découvrir d’urgence, à moins de passer à côté d’un auteur généreux et modeste, mais excessivement talentueux et doué.
Entretien réalisé à Toulouse, le 21 avril 2012
Merci à Marie-Claire Grossen et à toute l’équipe de la librairie Album à Toulouse
Doomboy, disponible
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