Saint des seins, veille de l’Ascension. La salle était pleine. On était venus nombreux pour voir ou revoir Spectrum, le groupe de Peter Kember, qui n’était pas repassé à Toulouse depuis le mémorable concert du Rex en avril 2010. Le très bon combo toulousain Ultrapd, emmené par des membres des Soldes et du Jerry Spider Gang, s’était chargé de chauffer la salle avec un set énergique, un kaléidoscope rock et garage soutenu par deux batteurs véloces sur les fûts. Une entrée en matière qui, cependant, différait pas mal de ce qui allait suivre.
Pete et ses musiciens prirent un peu de temps pour se mettre en place : Pete sur le côté, entouré de son synthétiseur et de différents joujous électroniques, tandis que le guitariste, assis sur une chaise à l’autre bout de la scène, s’était orienté vers lui tout en tournant le dos au public – position qu’il conserva par la suite durant la totalité du concert. L’ambiance était retombée, un peu plus solennelle et pesante, jusqu’à ce que les premières ondes du Spectre atteignent les fidèles amassés contre la scène. Pete, très rigoureux sur les nuances du son, travaillait sa liturgie au clavier et livrait sa calme onction en égrenant des classiques de son répertoire* comme Lord I don’t even know my name, Revolution ou How you satisfy me. Avec ses icônes cinétiques aux couleurs acidulées projetées sur le mur du fond, le set ressemblait à un rituel magique, pratiqué en secret par quelques initiés rassemblés dans la crypte. Une petite messe psychédélique durant laquelle furent invoqués les mânes des Spacemen 3, des Silver Apples et du Velvet, les fantômes placentaires de Simeon, Martin Rev et Delia Derbyshire. Un fan réclamait Rock’n’roll is killing my life mais « no way », Pete n’était pas d’humeur. Le passé resurgissait plutôt sous forme de réminiscences, comme un riff des Stooges traversant de façon subliminale l’écheveau électro fait de lentes pulsations lysergiques.
Ceux des premiers rangs ondulaient de plus en plus, certains étaient peut-être même en train de communier, comme si un beau rocker avait distribué des space cakes avant l’office. Une fille criait « c’est super !!! » et le bassiste lui souriait. Le rappel donna lieu à une longue reprise de Suicide, un des titres culte des Spacemen et de Sonic Boom, décliné ici durant 15 minutes de montée en drone bleu irisé, joué par le batteur motorik. « Tu crois que j’aurais raté ça ? J’aurais raté ça pour rien au monde » disait un type avec le smile. Certains étaient déjà sortis mais le groupe est revenu une troisième fois. Des reverbs de guitare erraient encore comme des âmes perdues, accompagnées par des stridulations résiduelles qui suintaient des amplis. Les musiciens se mirent alors à travailler ces derniers spectres d’émission pour les faire mugir et résonner et se lamenter quelques instants encore avant de les libérer et de les laisser retourner lentement au silence et à l’oubli. Close your eyes and you’ll see, baby.
* Discographie sélective des différents groupes et projets de Peter Kember :
Spacemen 3 : Performance (live au Melkweg à Amsterdam, 1988)
Sonic Boom : Spectrum (1990)
Spacemen 3 : For all the fucked-up children of this world we give you Spacemen 3 (1995)
Experimental Audio Research : Beyond the pale (1996)
Spectrum : Forever alien (1997)
Spectrum & Silver Apples : A lake of teardrops (1999)
Experimental Audio Research : Continuum (2001)
Spectrum : War sucks (2009)
Note: