C’est comme ragaillardi que le plus fameux de nos néerlandais francophones nous est revenu ce printemps, avec un nouvel album resserré sous le bras. Album rond et accueillant, à l’instar de son premier album, sorti il y a 40 ans tout juste.
Ce premier coup d’essai de 74, Dick Annegarn, avait fait mouche de manière quasi instantanée et transformé un peu malgré lui le très blond jeune homme encore timide en mini phénomène de la nouvelle chanson française. Et ce, grâce à l’écho immédiat rencontré par les chansons Sacré Géranium (« Ah ce qu’on est bien dans ces jardins, loin des engiiiinns ! »), Bébé éléphant ou encore Bruxelles, la belle que l’on ne présente plus.
Ces chansons, pour la plupart taillées dans le folk rudimentaire, fraîches et drolatiques de par leur manière lettrée de maltraiter la syntaxe, invitant à plusieurs niveaux de lecture, plurent aux petits et aux grands, telles Ubu (« Il avait un tout petit zizi et un grand cul… le Père Ubu ! ») ou encore Mireille, un an plus tard (l’histoire d’une mouche et d’un prisonnier, reprise en chœur dans toutes les colos d’été dans le milieu des années 70). Cette première période imposa d’emblée et en quelques albums, un style unique, une poésie mêlant gravité, humour et goût de la fable foldingo-surréaliste, dans le même creuset.
Pourtant dès 78, Dick Annegarn décide de tout envoyer valdinguer. Après ce démarrage en fanfare, notre homme ne se sent plus à sa place dans ce show-biz déjà ranci de la variété française des années 70, celui qui vampirise, qui presse le citron en forçant à enregistrer et à tourner jusqu’à ce que mort s’ensuive. Sans évoquer toutes sortes de contraintes diverses et variées, l’obligation de côtoyer un nombre incalculable de parasites à tous les étages… Et, encore plus grave, les sentiments de déréalisation qui accompagnent souvent les succès fulgurants. Dès lors, le grand batave à la voix grave, voulant redevenir maître de ses tempos intimes s’exclut lui-même du grand cirque, lors d’une conférence de presse mythique dans les sous-sols de l’Olympia où il déclare qu’il « quitte la compétition », après la lecture d’une longue diatribe, « La rock-industrie et moi », au cours de laquelle il fustige l’« auto, show, dodo » et le melon pathétique de la plupart de ses confrères chanteurs de l’époque. Messieurs-dames, bonsoir !
Il part vivre quelques années sur une péniche et fait le cafetier. Revenir au milieu des vrais gens dans le vrai monde. Quitte à enquiller les vraies galères, par la même occasion. Il n’abandonne pas la musique, mais emprunte un chemin de traverse plutôt risqué qui va lui faire frôler une marginalisation quasi complète. D’autres projets, voyages et rencontres nourrissent le grand Dick et c’est à cette époque qu’il se passionne pour la culture berbère entre autres. Aujourd’hui encore, installé dans sa ferme près de Saint-Gaudens (31), il continue à passer un tiers de l’année dans le sud du Maroc. Une poignée de disques (dont un auto-produit) jalonnent cette longue traversée du désert qui s’achève en 97 avec un nouveau contrat chez Tôt ou Tard, maison mère de l’un de ses plus fervents admirateurs, Mathieu Boogaerts.
Un premier chef d’œuvre, l’inusable Approche toi (1997), puis une série d’albums racés (dont un live tourneboulant au Cirque d’Hiver) et notre garçon toujours avide de frottements interculturels, ambassadeur des formes ancestrales de l’expression orale autant que de la chanson écrite, créateur d’un Festival du Verbe puis des fameuses « joutes verbales » (le jeudi place du Capitole à Toulouse) est relancé.
Avec l’âge, Dick Annegarn, personnage attachant, fort en caractère, ressemble à sa musique. Ecolo et collectiviste, comme il se dit lui-même, tour à tour activiste et observateur subtil, dont l’immense qualité est d’assumer parfaitement les dualités qui l’animent, de les incarner en d’en nourrir ses chansons avec une intensité rare. Ce solitaire grégaire, « pédé du jour », plouc citadin et bobo rural érudit, « éclusier européen et citoyen libertaire du monde » sur le passeport ferait passer Arno pour un poseur de première catégorie.
Son Nouvel album Vélo Va est un grand cru. Mélodique, riche en trouvailles homo-phoniques, il constitue la porte d’entrée idéale pour le néophyte et l’occasion, pourquoi pas, de se replonger dans la discographie du Néerlandais désormais barbu. On se dit que ces nouvelles chansons – à l’origine écrites pour d’autres – ont plutôt fière allure, traversées par le timbre chaud et ample de leur géniteur patenté. On remercie chaudement Johnny Halliday de ne pas avoir chanté Un Enfant, qui lui était apparemment destinée, car elle n’aurait sûrement pas atteint cette magnificence. Et on ne parlera même pas de celles heureusement refusées par Raphaël. Ailleurs, il y a Prune, expérimentation stylistique franchement marrante, taillée dans le diamant. La guillerette Je cherche évoque le laborieux travail d’horlogerie de celui qui écrit des chansons, sur une suite d’accords lumineuse. Karlsbad, Pire (grandiose au live de Ce soir ou Jamais) ou Brahim Alham sonnent comme des classiques immédiats dans une tonalité plus grave. Sur cet album réalisé par son complice guitariste Freddy Koella (Dylan, Deville, Lhassa, etc.), Annegarn s’est recentré, a choisi la retenue et une certaine homogénéité, ce qui à l’arrivée, donne un très bel album, plus allégé et accessible que le tortueux Plouc (2005) ou le bluesy Soleil du soir (2008), pourtant pas avares de petites pépites.
Dick Annegarn sera en concert à l’Olympia au mois de juin, puis ailleurs, c’est évidemment immanquable !
Dick Annegarn – Vélo Va, disponible dans les bacs (Tôt ou tard)
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