Quoi que l’on pense de cette nouvelle livraison, il faut d’abord considérer la difficile posture dans laquelle se trouvent les Black Keys. Dans notre époque dominée par les musiques électroniques, un groupe parvient encore à vendre du blues crasseux par camions entiers, cumuler les millions de vues sur Youtube, faire comme si nous n’étions pas au 21 ème siècle et qu’on pouvait encore parler de bars glauques le long des highways et pleurer dans sa bière en pensant à Suzie qui est partie. Cela n’a qu’un prix : il faut des chansons, de très bonnes chansons, ce que les Black Keys créent à un rythme insolent. Ils nous ont jeté tour-à-tour une poignée de singles rétro, foudroyants et universels, l’un après l’autre. De bons gros tubes gorgés de guitares acides. Et le grand public sait reconnaître une bonne chanson d’une mauvaise quel qu’en soit le genre ou l’époque.
Mais voilà la première fois qu’un de leurs albums ne contient aucune de ces petites pépites. On y trouve plusieurs bonnes chansons, mais aucun tube immédiat, pas de Lonely Boy ou de Tighten Up. Le single Fever est une chanson puissante et boostée, mais dont l’énergie semble simulée, comme une nuit blanche à se gorger de café pour ne pas sombrer.
On regrette également un virage psychédélique dans lequel ils peinent à trouver leur son. Ils commencent à ressembler à un groupe comme les Black Angels, ce qui est tout de même ironique. La production de Danger Mouse est toujours fine et parfaitement calibrée, mais elle pousse l’album dans des territoires un peu convenus. Elle est polie, sertie comme un beau bibelot que l’on range dans la vitrine du salon pour ne plus y toucher.
Il ne faut pas pour autant se refuser au plaisir d’écouter Gotta Get Away ou Weight Of Love, qui restent de splendides choses, mais on est en droit de se demander si les Black Keys n’ont pas été finalement rattrapés par la dure réalité de leur temps. À vouloir refuser de s’adapter, il faut avoir de quoi assurer. Les Strokes ont essayé et vaguement réussi cette pirouette sur leurs deux derniers albums, en modifiant leur son jusqu’à devenir méconnaissables. Les Black Keys semblent penser qu’ils pourront continuer à nier le temps et à habiller le vieillard comme un adolescent. Pourquoi pas, après tout. Mais alors il nous faut des tubes et des tubes et des tubes. Bonne chance.
Meilleure chanson : Gotta Get Away
The Black Keys – Turn Blue, nouvel album disponible (Nonesuch)
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