Au programme, trois films de la sélection officielle, Umimachi Diary (Notre petite sœur) du japonais Hirokazu Kore-Eda, Il racconto dei racconti (Tale of tales) de l’italien Matteo Garrone, tous deux en compétition et enfin Mad Max : Fury Road de l’australien George Miller, hors compétition.

Mad Max : Fury Road était sans doute l’un des films les plus attendus sur la Croisette. Quelques images livrées il y a quelques semaines sur le web électrisaient déjà le petit monde de la cinéphilie et ressuscitaient tous les fantasmes autour d’un des personnages les plus mythiques du cinéma, Max Rockatanski. Le film ne déçoit pas, au contraire, il impressionne. Pourtant, George Miller, à 70 ans, ex petit médecin urgentiste passé autodidacte en cinéma à l’orée des années 80, avait de quoi se planter. Tobe Hooper ne s’était par exemple jamais vraiment remis de son chef d’œuvre Massacre à la tronçonneuse. Miller ne s’était lui même jamais confronté à nouveau au mythe laissant même une partie de la réalisation du 3ème volet, Au delà du dôme du tonnerre, à George Ogilvie. Comment réinitialiser la puissance des deux premiers opus qui avaient dynamité les codes du cinéma post apocalyptique et par ailleurs fait de Mel Gibson une star interplanétaire ? Et bien tout simplement en reprenant les choses là où elles s’étaient arrêtées.

Le film débute là où les précédents se terminaient. Avec la silhouette de Max, seul, de dos face à l’horizon asséché du désert de Namibie. Ici Max (Tom Hardy) trace sa route en solitaire. Fait prisonnier par une communauté de dégénérés maîtrisant les sources d’eau et se reproduisant en fécondant de jeunes filles par des stratagèmes nauséabonds, Max va croiser la route de Furiosa (Charlize Theron) prête à tout pour échapper aux troupes du chef de guerre Immortan Joe. Survivre coûte que coûte, c’est de manière obsessionnelle ce qui unit tous les personnages. Le film est donc un film de survie, un film de combat. Ce qui impressionne le plus, c’est la puissance des plans. Les 3 premiers Mad Max créaient le rythme de l’action par un montage syncopé et une exubérance situationnelle. Avec les nouvelles technologies numériques, Miller découpe moins, s’autorisant même quelques plans séquences et créent une incroyable densité au sein de chacun de ses plans. Une densité graphique, une densité rythmique, une densité sonore.

Comment ne pas admirer les séquences de courses poursuite au travers des nuages de sables perforées par des feux d’artifices rouge et jaune vifs ? Comment ne pas être subjugués par le crépuscule des champs de boue ? Comment ne pas succomber à l’énergie déjantées des véhicules transgenres, défigurés qui transpercent la matière ? Mad Max : Fury Road est un film graphique, d’un plasticien obsédé par la beauté difforme, d’un chorégraphe qui attaque droit dans les sens. C’est aussi un film ultra contemporain. Un grand film malade sur un monde putréfié en voie d’extinction où l’espoir n’existe plus, où les hommes deviennent fous jusqu’à espérer la mort pour leurs idéaux les plus totalitaires comme les plus humanistes. Mad Max : Fury Road est donc aussi un grand film de guerre, un film de menace. L’autre pari du film, c’était bien sûr Tom Hardy dans le rôle de Max. Il est incroyable d’animalité. Dans un rôle presque mutique, l’acteur fascine par son intensité physique. Il est Max, il a toujours été Max. Et puis il y a Charlize Theron. Dans son rôle d’amazone mutilée à la fragilité sensible et aux excès de violence dévastateurs, elle offre ici une de ses plus belles prestations parce que totalement inattendue. Avec Mad Max : Fury Road, George Miller met une nouvelle pierre dans le jardin des productions sous testostérone et la majorité des blockusters ultra formatés. Et ça fait du bien.

Salma

Autre film à la puissance graphique impressionnante, Il racconto dei racconti de Mattéo Garrone. L’italien est un habitué de Cannes. Il avait d’ailleurs raflé deux fois le grand prix du jury avec Gomorra et Reality, deux films contemporains à la veine sociétale revendiquée, la mafia napolitaine d’une part et l’emprise des média réalité d’autre part. Ici, changement radical. Matteo Garrone livre un pur film de genre au casting international. On y retrouve Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones ou John C. Reilly. Le film est un conte, ou plutôt un film de contes. On y découvre trois royaumes voisins où dans de merveilleux châteaux règnent rois et reines, princes et princesses. Un roi fornicateur (Vincent Cassel), un autre captivé par un animal monstrueux (Toby Jones) et enfin une reine en désir d’enfants (Salma Hayek). Là encore ce qui frappe, c’est la maitrise d’un univers poétique extravagant où se côtoient gens de pouvoirs décadents, créatures monstrueuses et jeunes ingénus en quête de révélation.

Soyons sûrs que Guillermo Del Toro, membre du jury, ne sera pas insensible à la mise en scène de l’italien et à ses codes tantôt baroques, parfois gothiques, toujours mystérieux. Garrone nous livre donc un film de genre ou plus exactement un film de monstres sans pour autant quitter son registre de prédilection très acide sur le monde contemporain et la société italienne. En effet, ici, les gens de pouvoirs se confrontent en leurs royaumes à la monstruosité pour réaliser leurs fantasmes les plus cyniques de puissance, de sexualité et de richesse. Ils contaminent tous ceux qui les approchent jusqu’à leurs propres enfants. Une jeune adolescente mariée de force à un ogre, un jeune albinos bâtard d’un monstre et d’une reine qui se découvre un frère jumeau né du même monstre, ou encore la jeunesse éternelle retrouvée par une vieille femme d’une laideur inouïe qui la mènera jusqu’au bannissement.

Garrone ne prend jamais partie pour ses personnages, il les méprise absolument et c’est sans doute la seule limite du film. Les monstres se confrontent aux monstres et créent leurs propres monstres pour leur succession. Histoire contemporaine ? Sans aucun doute et parfaitement d’actualité.

notre petite soeur

Enfin Umimachi Diary de Hirokazu Kore-Eda, autre habitué du festival et réalisateurs des merveilleux Nobody Knows et Tel père, tel fils. Kore-Eda est un cinéaste de l’intime, des fissures familiales. A partir d’histoires très simples, il navigue dans la complexité des rapports humains. C’est exactement le sujet du film. Le japonais continue de tracer le sillon introspectif des rapports familiaux. Ici, 3 sœurs découvrent lors de l’enterrement de leur père, qui les avait abandonnées, l’existence d’une petite sœur. D’un commun accord, les jeunes femmes décident d’accueillir l’orpheline dans la grande maison familiale. Kore-Eda pose sa caméra à Kamakura, ville provinciale japonaise prise entre tradition et modernité. Il donne à voir une image du japon inhabituelle, finalement assez proche de celle montrée par Miyazaki. Il ancre ses personnages de manière très naturaliste dans ce décor fait de campagne japonaise et de maisons traditionnelles un peu à la manière du maître Ozu, héritage qu’il revendique par ailleurs.

La réunion des 4 sœurs va refaire naître l’esprit de famille avec la figure paternelle comme épicentre. Le film émeut par touche sensible. La maison familiale se présente comme une enclave où vivent les fantômes des souvenirs perdus. On y réveille les sens pour se rappeler et donner un sens à sa vie. On y mange beaucoup pour se remémorer les odeurs et la matière de la cuisine familiale, on sent les vieux vêtements comme un électrochoc sensitif réveil de la mémoire familiale, on s’y vernit les ongles de pieds comme un appel à l’enfance. Ces scènes sont très belles et empruntent à la minutie de Ozu comme si Kore-Eda cinéaste voulait lui même se souvenir du cinéma qui l’a construit. Le film est très beau, très pur et brasse des préoccupations existentielles résolument universelles.

La suite dès demain.

Mad Max : Fury Road
Note: ★★★★★

Tales of tales
Note: ★★★★☆

Notre petite soeur
Note: ★★★½☆

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