Hypothèse : et si, en matière de festival, la qualité était plus importante que la quantité. À quoi bon afficher des programmations de près de 200 groupes répartis sur une douzaine de scènes différentes quand le festivalier ne pourra en voir humainement que 6 ou 7 dans la journée ? C’est cette question que nous nous sommes posée quand les horaires du festival ont été dévoilés il y a quelques semaines, moment de crispation lorsqu’on découvre qu’il va falloir choisir entre St Vincent et Future Islands, Nine Inch Nails et Mogwai, The war on drugs et Pixies, Darkside et The National, Body/ Head et Dr John, Kendrick Lamar et Godspeed you ! black emperor… C’est cette question qui nous vient à l’esprit en ce troisième jour de festival lorsqu’on fait non plus le bilan des groupes que l’on a vus, mais celui de ceux qu’on a ratés, parfois pour des raisons de fatigue physique, souvent à cause d’horaires incompatibles. Alors certes, avoir le choix, c’est important, mais le line up cette année ne permettait pas de sortir de l’alternance des grandes scènes ni de circuler sur le site sans manquer un petit bout de ceci ou un gros morceau de cela. D’où notre choix en ce dernier jour de privilégier deux concerts que l’on ne veut rater sous aucun prétexte et voir dans de bonnes conditions, en se postant une heure avant devant les barrières pour profiter de l’ambiance des premiers rangs.
Pour les avoir vus sur scène au Bikini à Toulouse, on sait que Godspeed you ! black emperor est l’une des expériences live les plus puissantes qu’il soit possible de vivre dans une salle de concert. Le groupe produit un impact à la fois mental et émotionnel assez formidable sur l’auditeur, de par la structure et la durée des morceaux, tout en répétitions et en crescendos. Ils ont cette capacité de produire un état proche de la transe ou de l’hypnose. La seule question était de savoir si cette musique allait passer le stade des grandes scènes de festival, avec ses conditions spécifiques – d’horaires, de public, de son -. Les premières minutes du concert suffisent à nous convaincre que nous allons vivre un grand moment avec ces Canadiens. Il faut les voir prendre littéralement possession de la scène, s’installer un-à-un en arc de cercle, la façon dont chacun vient joindre son instrument au motif en cours, pour nous rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un « groupe » au sens traditionnel du terme, mais bel et bien d’un « collectif », avec ce que cela implique en termes de posture – pas de leader, aucun musicien n’est mis en avant au détriment d’un autre – mais aussi, politiquement.
Car les vidéos projetées en fond de scène sur pellicule, majoritairement en noir et blanc et dans un format proche du Super 8, figent les images de notre monde – paysages post industriels et désertiques, manifestations du printemps d’érable, surveillance policière – dans une forme d’archive déjà datée qui observe la fin d’un empire dont la musique de Godpseed serait la bande son. Un véritable geste activiste donc, foncièrement anticapitaliste, même si l’intention n’est pas annoncée telle quelle, il ne peut échapper que le projet de Godspeed est plus global que strictement musical. Et au terme de la petite heure quarante qui nous a fait passer par toutes sortes de sentiments paroxystiques, nous revient l’une des images qui ouvrait plus tôt le set. Un simple mot : « Hope », comme une incantation contre les puissances du mal – politiques, religieuses, financières – qui mettent à mal les pays et les peuples, espoir autour duquel Godspeed nous rassemble pour célébrer l’hypothèse d’une autre façon de vivre ensemble, d’un monde nouveau lorsque le nôtre sera venu à sa perte.
Difficile de passer après Godpseed dont nous ne sommes pas tout à fait redescendus, mais c’est le jeu des festivals que de devoir enchaîner les plats sans interruption. Cela ne se fait cependant pas au détriment de Mogwai, d’une part, car on reste dans le registre du post rock, et parce que les Écossais, loin de s’essouffler après près de vingt ans de carrière, savent se renouveler et insuffler de nouvelles énergies dans leur formule. Déjà sur le précédent album, Hardcore will never die but you will, le groupe avait ajouté à leurs murs de guitares habituels des sonorités que l’on qualifiera d’électroniques, intention confirmée sur Rave Tapes, le nouvel opus en date. Mais il ne s’agit pas pour autant ici de conquérir les dance floors, que d’installer plutôt des ambiances mystérieuses ou inquiétantes, assez proches des sons synthétiques de John Carpenter – le fabuleux Remurdered !-. En tout cas, munis d’une grosse production en cohérence avec l’univers graphique de l’album et d’un light show stroboscopique, les Écossais ont toujours l’air de s’amuser autant et témoignent d’une complicité comme à leurs débuts. Superbe façon de conclure pour nous un festival qui ne sera pas la meilleure édition que l’on a vu, mais suffisamment riche en beaux moments pour rester dans les mémoires.
Note: