Apocalypse Now
On a déjà dit ici tout le bien qu’on pense du premier album éponyme de Viet Cong. Sorti en début d’année, monument de rock qui alterne les fulgurances pop mélodiques et les constructions tortueuses et labyrinthiques, cet essai inaugural n’a pas cessé de nous hanter depuis. On revient régulièrement et sans se lasser à ce mélange de post-punk, post-rock, garage, krautrock et shoegaze, véritable marmite de tous ces genres confondus portés à ébullition en trente-huit minutes chrono. Il ne nous tardait plus qu’une chose : découvrir le groupe en concert pour vérifier la réputation live des Canadiens. Il faut dire que la scène est le lieu doublement fondateur de Viet Cong, puisque son premier acte discographique, le EP Cassette, a été enregistré lors de sa première tournée, dans l’urgence du live. Et puis on sait que Women, le précédent groupe culte de Matt Flegel (chant, basse) et Mike Wallace (batterie) avait splitté le 29 octobre 2010 à a suite d’un clash lors d’un concert houleux où les membres du groupe en étaient venus aux mains. On se disait donc que ceux-là ne font pas semblant, ne mettent aucune barrière entre eux (mentalement, physiquement) et la scène, dont ils font manifestement un enjeu majeur de leur expression, quitte à se mettre en danger.
On a pu observer au Connexion Live à Toulouse ce genre d’implication nerveuse et d’engagement total chez Viet Cong. Le groupe est composé de quatre membres. Matt Flegel, donc, à la basse et au chant, n’occupe pas pour autant la place centrale. Le mix de la voix, s’il pourrait a priori paraître inapproprié, est au contraire tout à fait rationnel : il ne s’agit pas de réserver un espace de confort pour le chant de Matt Flegel, mais au contraire de le forcer à pousser son organe, dans une forme de cri, d’incantation permanente. La basse apporte une tonalité très cold wave au son, l’ombre tutélaire de Joy Division n’est jamais très loin, elle rythme de façon métronomique les morceaux et soutient la section rythmique avec Mike Wallace qui est le centre d’attraction du groupe. Le batteur qui a vite fait de tomber le tee-shirt est en effet assez impressionnant, spectaculaire, tout en étant d’une énorme précision. Scott Munro et Daniel Christiansen soutiennent leurs efforts à la guitare et aux claviers, le second étant visiblement dans un état de transe quasi ininterrompu, les yeux clos ou révulsés, il sue à grosses gouttes, ne se ménageant pas, complètement impliqué.
On pourrait les croire chacun dans son trip tellement les membres du quatuor ont l’air de vivre individuellement l’expérience de la scène, on est d’autant plus surpris de voir à quel point le groupe fonctionne aussi merveilleusement bien collectivement. Ils échangent souvent entre eux – plus qu’avec le public -, mais surtout, c’est dans les changements de rythme imposés par les morceaux, où il ne faut pas se rater à moins de rester sur la touche, que Viet Cong impressionne le plus. Ainsi pendant Death, le climax de l’album et véritable sommet du concert, joué dans une version totalement apocalyptique de près d’une vingtaine de minutes, après un long pont où Mike Wallace martèle le rythme de façon répétitive en tapant sur ses fûts jusqu’à l’épuisement, le groupe repart en un clin d’œil dans un dernier sprint exécuté pied au plancher, qui termine de lessiver les spectateurs du Connexion, exsangues. Le groupe aura l’immense classe de ne pas revenir malgré un long rappel du public. Qu’ajouter après un tel moment, qui a plongé le public dans un maelstrom moite, inhospitalier, tétanisant et épileptique ?
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