« La beauté est ce qui reste quand on a enlevé tous les enjoliveurs. C’est l’intériorité et non l’apparence. C’est le contraire du flatteur. La beauté, ça a de la profondeur. Ça sent l’humain, pas le savon. » Voilà les propos que tenait, en mars dernier, Marc Petit, sculpteur français, à l’occasion d’un entretien accordé à Populaire. À la lumière de ce regard évident sur cette beauté, quête obsédante de l’humanité depuis qu’elle cherche son sens, il est possible d’en porter un évolutif sur The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn. Dans l’océan plastique de chaire froide, modelée et remodelée à outrance, qu’il nous expose, Elle Fanning, nouvel objet absolu de son fétichisme, semble s’incarner en sirène de pureté juvénile accédant à l’ultime statut par son absence d’artifices. La gamine de seize ans, convoitise pédophile dont la Géorgie natale est censée la prémunir des névroses hollywoodiennes, débarque à Los Angeles, sous les traits d’un alter ego, Jesse, proie de tous les vices de sa nouvelle cité.
Toutefois, l’idée qu’une jeune beauté dénuée de névroses parvienne, et de ce simple fait, à fasciner un milieu en proie au psychoses les plus absolues, ne peut constituer que le début d’un chemin, puisque la psyché humaine vient inexorablement à l’emporter. Rapidement, Refn le confesse, dévoilant son égérie comme parfaitement corruptible et égotiste. The Neon Demon semble alors continuer à emprunter le bon chemin, à esquisser l’angle de ce que serait la pureté et à en admettre l’humaine inaccessibilité ; seulement ce film n’est pas l’œuvre d’un ange. Piégé par sa propre fascination pour Elle Fanning, Refn s’aveugle à mesure que son regard entend s’ouvrir et ne peut souffrir de laisser cette jeune fille chuter du piédestal absolu qu’il a dressé pour elle.
Devenu spectateur de l’écrin publicitaire dans lequel il fige son actrice de shootings en shootings, le cinéaste ne peut, impuissant, qu’en venir à nier les enjeux originels de son film au profit de la quête orgasmique personnelle qui l’habite. Ce combat méta-filmique perdu d’avance constitue le paradoxe de l’œuvre de Refn, l’empêchant autant de concrétiser ses ambitions qu’il lui confère sa réelle chair et son réel intérêt. Alors que le réalisateur de Drive désirait opposer l’authentique beauté à son factice ersatz, le voici redevenant simple homme à la caméra et succombant à la fascination superficielle que lui inspire la jeune fille par laquelle il entendait porter son projet.
Prenant conscience que son bateau coule car il jouit de son naufrage, le capitaine décide à la hâte de l’achever en dynamitant son dernier tiers dans des explosions gores et sanguinolentes. Les passions tues plus d’une heure par ses personnages anciennement anesthésiés se déchainent enfin, provoquant l’euphorie blanchâtre des uns et laissant les autres perplexes. De ces remous, surnage au moins une audace, à l’occasion d’une jolie scène nécrophile tournée sous l’angle de l’émotion plutôt que sous celui de la morale. Cette scène, seule du long-métrage qui appelle à la chair, car prise lorsqu’arrive l’orgasme et lorsque la fétichisation d’Elle Fanning n’est plus l’objet, est peut-être celle qui symbolise le mieux les manques de Nicolas Winding Refn, cinéaste incertain qui, hormis à cet instant, n’aura su jouir que parce qu’il aura contrôlé. Parfois irrespirable tant il s’avère plastiquement irréprochable – osons lisse – son dernier opus, à l’instar du reste de son cinéma, manque encore cruellement d’une humanité naturelle. Que l’espoir à ce sujet se situe finalement dans une scène mettant la mort en exergue pourra étonner, mais ce sera là un réel pas qu’il serait maladroit de négliger. De Nicolas Winding Refn, nous attendrons maintenant qu’il parvienne à célébrer la vie, ce à quoi l’ostensible beauté d’Elle Fanning aurait tout à fait pu le destiner.
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