Avec Star Trek, J.J. Abrams avait réussi en 2009 un pari qui n’était pas gagné d’avance : réactualiser une franchise désuète en la rajeunissant, sans toutefois se mettre à dos la communauté de fans très soucieux du traitement réservé à l’objet de leur adoration. Il y respectait l’univers de la saga originale, ses codes, sa structure politique et philosophique, ses personnages, tout en permettant sa compréhension et son accès au plus grand nombre, trekkies purs et durs comme néophytes les plus curieux. Tout ceci se faisait sur l’autel d’un jeunisme pas si inopportun, qui permettait au film de se situer dans la veine du space opera teenage à l’humour plutôt bienvenu si l’on considère le sérieux imperturbable de la série initiale. Si J. J. Abrams se relevait habile à renouveler les figures pops des années 60, le réalisateur échouera pourtant à créer son propre univers, contrairement à Quentin Tarantino qui sait recycler les codes et les gimmicks de ses modèles pour les recycler dans son propre « ciné-monde », post moderne et immédiatement identifiable. Avec Super 8, J.J. Abrams s’autoproclame l’héritier de Steven Spielberg en convoquant l’esprit des studios Gamblin mais sans jamais réussir à ressusciter la nostalgie de l’époque. Habile faiseur et entertainer, oui, prodige des concepts geeks, certainement, mais auteur à part entière, non. On ne remet en cause ni sa sincérité ni son honnêteté de réalisateur, mais force est de constater que ce qui fait le ciment de son cinéma, c’est à dire son caractère de fan boy obsessionnel, est aussi sa limite intrinsèque et finalement logique.

Star Trek Into Darkness s’envisage aussi forcément avec un nouveau critère dans la donne : J.J. Abrams va réaliser Star Wars VII, il sera donc regardé au vu de ses capacités à reprendre les rênes de la saga en lavant la souillure laissée par la prélogie à tous les fans des films originaux. De ce point de vue, Star Trek into darkness rassure autant qu’il inquiète : J.J. Abrams s’y montre à la fois capable de développer des enjeux liés à l’évolution psychologique des personnages, il sait aussi trousser des séquences d’action parfaitement cadencées sur un rythme qui ne faiblit jamais. Cependant, il échoue à injecter dans cet univers un véritable souffle épique qui fait que le film souffre d’un déficit d’ampleur assez gênant. Le film fonctionne pourtant très bien, notamment dans sa façon de parvenir à une forme d’équilibre dans la caractérisation de ses personnages. Le Capitaine Kirk, présenté comme une tête brûlée, impulsif et instinctif, s’oppose à un Spock toujours très raisonné et soucieux du code, l’idée étant ensuite de réajuster les curseurs. Le premier est confronté à la notion de sacrifice, qui renvoie directement à la scène d’ouverture du premier Star Trek et situe son personnage dans la notion de lien filial (père, mentor), thématique récurrente chez Abrams. Quant au Vulcain, il s’agit ici d’humaniser davantage un caractère froid et purement logique en le dotant d’émotions. Face à ce conflit moral qui est au centre des origines de Spock, l’ennemi de l’équipage – dont on taira le nom pour ne pas spoiler – trouve sa place dans ce duo pour en faire évoluer la relation et agit comme un intrus à la fois fascinant et menaçant. Pour le reste, J.J. Abrams sait gérer la galerie de seconds rôles avec une inclination certaine pour le cabotinage, plutôt réjouissant quand il s’agit de Simon Pegg, une nouvelle fois excellent dans le rôle de Scotty.

Mais dans la structure en aller-retour qui est la sienne, Star Trek Into Darkness abandonne trop d’idées dans des plot holes invraisemblables, qui amenuisent considérablement son impact. La piste terroriste finit ainsi en lettre morte alors que le film ne se prive pas de convoquer une imagerie post 11 septembre récurrente (remember Cloverfield, produit par J.J. Abrams). La menace klingon, qui pèse pendant un temps sur le récit est aussi évacuée sans coup férir, réduisant les enjeux à une stricte histoire de vengeance. J.J. Abrams n’en peut plus de faire le grand écart entre son désir de s’émanciper de la saga originale tout en jetant sans arrêt des regards dans le rétroviseur pour adresser des clins d’œil complices aux trekkies. Il flatte ainsi le noyau de fans hardcore en réitérant quasiment à l’identique le dernier acte de Star Trek 2 : la colère de Kahn, avec une redistribution des rôles pour faire bonne figure. Les néophytes, quant-à eux, n’y verront que du feu, mais qu’importe, Abrams joue sur tous les registres, dans un numéro d’équilibriste périlleux dont il ne se sort pas trop mal. Car il ne faut pas bouder son plaisir, le film est un spectacle total, visuellement somptueux, c’est un vrai plaisir de spectateur pourvu qu’il ne creuse pas trop le vernis des effets spéciaux et l’aspect tonitruant agissant comme cache misère. Non pas que Star Trek Into Darkness soit honteux, loin de là, mais on aurait souhaité une mythologie qui dépasse le simple argument d’un épisode lambda de la série télé.

Note: ★★★☆☆

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