Échec à sa sortie en 1966, Seconds de John Frankenheimer ressort en salle ce mercredi 16 juillet. Avis aux nombreux fans de Fincher et autres formalistes contemporains, certaines de leurs racines se trouvent dans cet extraordinaire film, somme et prophétie d’un cinéma mutant à tous les sens du terme.
The Mandchurian Candidate, film plus connu, était déjà un très bel exemple d’une modernité bien américaine, Seconds poursuit la déconstruction en inscrivant une virtuosité formelle dans des thématiques chères à ce cinéma du nouvel Hollywood alors en train de naître, à savoir la paranoïa, le complot et la perte de repères dans un monde de plus en plus opaque.
Attaquer le regard, c’est bien le programme de Seconds. Attaquer le regard du spectateur en instaurant ce pacte aberrant, faisant se transformer un vieux John Randolph insignifiant en une jeune star séduisante : Rock Hudson, et donc attaquer le regard du personnage sur lui-même. Premier coup de poing qu’il faut encaisser pour que le film puisse continuer. La deuxième attaque vient de la forme : la première séquence, moment paranoïaque anthologique, impose à la narration une représentation tordue, des cadrages impossibles, rendant toute transparence impossible, tant la pression faite sur le récit est forte.
Cette première scène à la gare nous indique une première chose, nous ne sommes plus amenés à regarder ce lieu comme n’importe quel autre, comme avec un regard routinier et cet homme n’est pas un simple personnage lançant le film dans sa narration. Il est le support d’un œil distordu, celui du générique de Saul Bass, qui se déforme jusqu’à l’abstraction. La mise en scène trahit le réel alors anodin, une gare, un homme, un train, tout cela est observé par un regard nouveau. Si l’œil coupé en deux de Bunuel faisait table rase, cet œil-ci se décale légèrement, décadre le visage, enfle l’espace… La réalité est inquiète.
Et le film continue de plonger, d’emmener son personnage d’incompréhensions en incompréhensions, l’abasourdit jusqu’à changer son visage et à faire accepter l’inacceptable au spectateur, l’œil devient fou.
Seconds oscille en permanence entre une extériorité, un au dessus du personnage dans lequel il serait emprisonné : un postulat aberrant, des séquences hallucinantes et hallucinatoires (la bacchanale…), un réel qui s’enfuit pour se faire constamment remplacer par de l’impossible, du visuel, de l’abstrait. Et une intériorité, donnant son humanité au personnage, qui se demande lui même dans quelle réalité il se trouve et par quoi sont dictés ses choix.
La vision de Rock Hudson, filmée en plan fixe, peignant tranquillement dans son salon, est peut être l’une des images les plus éloignées de celles de la séquence de la gare, dans laquelle il n’était que John Randolph, filmé en caméra embarquée, gros plan partiel du visage, images expérimentales faisant le grand écart avec la tentative de faire revenir un peu d’humanité dans le film et son fonctionnement formel et narratif. Reste à savoir jusqu’où cela peut aller, en 1966, chez Frankenheimer.
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