Et si la grâce de l’album dont tout le monde parle pouvait se résumer en un seul morceau ? Qui d’autre que Christine and the Queens aurait pu marier Christophe à Kanye West dans une reprise qui transcende ses modèles ? Déclaration d’amour à une artiste totale et un peu folle.
Le premier album de Christine and The Queens n’en finit plus de faire parler de lui depuis sa sortie au début du mois de Juin. En trois semaines, Chaleur Humaine s‘est déjà écoulé à plus de 25 000 copies. C’est la moitié du seuil fatidique qui sanctionne un Disque d’Or…
Et pourtant, Chaleur Humaine n’a rien d’un feu de paille ni d’une usine à à buzz qui ne passerait pas l’été. C’est le projet exigeant d’une artiste totale, au croisement de la danse, du chant et des arts de la scène et de la musique. La richesse de l’album n’a d’ailleurs pas franchement surpris. Christine and The Queens s’invite dans nos timelines depuis plus d’un an à la faveur de deux EP très remarqués dont on retrouve logiquement le meilleur sur ce premier disque. Héloïse « Christine » Letissier squatte les scènes des festivals et enchaîne les premières parties avec des morceaux naturellement devenus ses premiers singles : Saint Claude et Nuit 17 à 52, imparables. Jusqu’à présent, son nom figure en petits caractères sur les affiches et offre une caution indé louable qui se transforme depuis quelques semaines en hype sympathique… puis exaspérant : Christine est partout.
Mais cette fois, il va falloir se résoudre à céder avec jubilation à la rumeur… Quel doux supplice que de s’habituer à voir grossir la taille des lettres sur les flyers et à réserver tôt : les concerts de Christine and The Queens se remplissent plus vite qu’un bar un soir de match de l’Equipe de France. Et c’est normal. La scène, c’est là qu’habite Christine.
Il a suffi de la voir l’autre soir à l’Olympia retourner un public venu applaudir Lana Del Rey. Après une prestation polie et propre de l’icône américaine, Christine a envouté l’Olympia. Reçu une standing ovation venue de nulle part. Et peiné à retenir ses premières larmes sur scène, devant un accueil qui justifiait à lui seul le titre de son disque.
Un disque qu’il faut écouter obstinément.
Un disque au milieu duquel se cache une merveille.
Un de ces morceaux qui changent une vie. Qui ensorcelle et impose des écoutes en boucle maniaques.
Un titre complètement fou qui contient tous les gênes de ce succès annoncé : Paradis Perdus.
Une reprise improbable d’un morceau culte de Christophe : Les Paradis Perdus.
Christine n’a pas seulement ôté l’article pour faire joli. A moins de l’écouter sous acide ou de connaître intimement le projet, impossible de reconnaître immédiatement la filiation avec son prestigieux ancêtre. Christine marie « de force » le monument de Christophe au Heartless de Kanye West. Elle a inventé un mash-up hypnotique dont on se demande encore d’où il sort… On jubile encore en imaginant la tête du chef de projet de la maison de disque quand il a appris qu’il devrait vendre cette intention farfelue.
Pour sublimer la rencontre entre deux divas pas franchement musicalement compatibles, Christine a du tout réinventer et déconstruire. Tout est devenu couplet, tout fait refrain. Disparus l’emphase, les effets inutiles ou les vocoders. Ce que d’autres auraient gardé, elle l’enlève. Elle réécrit la musique. Prononce les paroles d’une voix cristalline qui va crescendo. Quand Christine chante Heartless. How could you be so heartless, on se demande d’abord d’où sortent ces mots en anglais. D’où viennent ces pleurs, ces frissons sans fin. Puis on croit entendre un violon quand elle célèbre chaque mot de Kanye West comme une plainte inconsolable. Christine se connecte avec la vérité du morceau. Elle abat les cloisons. Découvre de nouvelles ouvertures. Et invente un territoire bien à elle…
Un endroit où elle mélange le français et l’anglais. C’est sa signature partout dans le disque. Elle jongle aussi sans complexe entre la variété et l’électro. Les réverbérations et la voix sèche comme une flèche qu’on décoche en plein cœur. Elle y parle de Londres, de musiciens ridés et de caves enfumés… comme un clin d’œil subliminal aux moments d’errance qui ont vu naître ce projet. Christine s’appelait alors Héloise. Une rupture l’avait emmené pleurer et exhumer ses doutes sur les rives de la Tamise plutôt que le long de la Seine. Et c’est dans les clubs qui sentent l’animal que de flamboyants drag-queens (les Queens, got it ?) lui ont donné la confiance et l’inconscience de se lancer.
Puisse grâce leur être rendue d’avoir rendu possible un tel miracle. Un morceau pareil ne peut avoir été imaginé que par une jeune fille qui n’a pas 25 ans et s’impose tranquillement comme la meilleure nouvelle de 2014. Excepté un ou deux titres plus anecdotiques, chaque morceau du disque mériterait un tel hommage. Et on se prend à rêver d’un prochain mash up entre Here, qui clôt le disque et Tous Les Cris Les SOS de Daniel Balavoine. In the Night I hear them talk…
Chaleur Humaine (Because Music) – LP – déjà disponible
Note:
En tournée des festivals cet été et sur scène partout en France à partir du 30 Septembre