On pourrait définir une série télé comme étant une œuvre de fiction en plusieurs épisodes évoquant les intrigues d’un personnage ou d’un groupe d’individus. Nous avons aimé suivre les rebondissement de Dexter, l’évolution de Walter White dans Breaking Bad, l’histoire de la famille Fisher dans Six Feet Under et on pourrait en citer bien d’autres. Avec Black Mirror, il en est tout autrement. Pas de personnage principal ni récurrent, aucune intrigue n’est liée ni dans le temps ni dans l’espace, aucun épisode ne fait référence aux précédents.
Même si cela avait déjà été fait par le passé avec La Quatrième Dimension (The Twilight Zone), Black Mirror est un OVNI télévisuel, quelque chose de différent. Pourtant, il s’agit bien d’une série, car en réalité, le liant dans tout ça est sa thématique. Lorsque Charlie Brooker, créateur de la série et journaliste au Guardian, évoque Black Mirror, il fait directement référence à ces écrans noirs qui entourent notre quotidien. La télévision, l’ordinateur, les smartphones, tous interviennent avec plus ou moins d’importance dans notre quotidien. Le synopsis tient alors en une question : si la technologie était une drogue, alors quels en seraient les effets ?
À ce jour, seules deux saisons de trois épisodes chacune ont vu le jour, elles ont d’ailleurs déjà été diffusées sur France 4. Mais à vrai dire, il ne faut pas plus du premier épisode pour se faire une idée : Black Mirror ne laisse personne indifférent. On pourrait croire qu’elle a pour ambition d’être une satire de l’évolution technologique et des méfaits que cela créé dans notre société. En réalité, cela va plus loin que ça. Sa finalité est de mettre en exergue nos propres comportements, notre façon d’être face à cette évolution technologique. Il ne s’agit pas-là de critiquer la technologie, qui est toujours plus incroyable, mais plutôt de montrer comment l’être humain petit-à-petit accepte des choses qui sont au fond inacceptables.
Une des nombreuses forces de la série est de mettre en situation des personnes qui sont très proche de notre quotidien. Mis à part le deuxième épisode, 15 millions de mérites, tout se passe dans un futur très proche, quasiment actuel, en fait. Cette sensation que cela pourrait arriver dès demain implique clairement les téléspectateurs. Avec très peu de narration, la série oblige à l’analyse personnelle, et souvent à un parti-pris. Cela est d’ailleurs flagrant dans le premier épisode, L’Hymne National, où on se demande réellement ce qu’on ferait dans une situation similaire.
Avec une telle implication, il n’y a qu’un pas pour faire des liens directs entre ce qu’il nous est montré et notre propre vie. Black Mirror parvient par moments à tirer en nous des émotions qu’on imaginait pourtant déjà bien maîtrisées. Chaque épisode a une thématique que l’on a tous déjà rencontrée dans notre vie : choisir entre la peste et le choléra, la mort et la séparation, le poids de l’opinion publique ou de la société, la cupidité ou encore l’ivresse du divertissement. Malheureusement, il serait dommage de dévoiler davantage ces intrigues au risque d’éliminer l’effet de surprise et l’approche de chacun. Chaque épisode mériterait presque un développement approfondi, voire des débats tant ils posent question. En réalité, certains éléments développés sont déjà plus ou moins entrés dans notre monde en un temps record. La profusion d’émissions de télé-réalité, par exemple, la notion d’enfermement, le divertissement au mépris des valeurs morales, etc. D’autres évolutions technologiques présentées sont aussi sur le point d’être mises en place comme la possibilité d’enregistrer la totalité de ses faits et mouvements et de pouvoir re-visionner cela n’importe quand. À vrai dire, tout bien réfléchi, cela existe déjà plus ou moins sur les réseaux sociaux.
Ainsi, en plus d’être une série qui renvoie à des sentiments personnels, Black Mirror porte également en elle tout un tas de questionnements sur la condition humaine au travers des vecteurs technologiques et de communications. Elle indique à quel point une erreur de jugement de notre part peut entraîner des conséquences désastreuses. Si pour l’instant les effets de ces choix ne sont pas encore totalement visibles, ceux qu’on fera dans un futur proche auront sans doute des répercussions beaucoup plus fortes et peut-être même irréversibles. Certes, les nouvelles technologies ouvrent de nouvelles directions, certaines fantastiques d’ailleurs. Mais dans un même temps, elles en ferment définitivement d’autres que l’on pourrait amèrement regretter de perdre. Il ne s’agit pas-là uniquement de technologie, non. Il s’agit aussi de façon de penser et de vivre, de valeurs à véhiculer, de ce qui est important dans nos vies.
Et cela sans compter sur la qualité de la réalisation, toujours très soignée et sobre. Chaque intrigue prend le temps de mettre en place la situation afin que tous puissent s’imprégner de ce nouvel univers et d’en comprendre les éléments essentiels. Chaque nouvelle technologie évoquée est ainsi expliquée de façon naturelle sans toutefois rentrer dans des détails ennuyeux. Ces introductions maîtrisées à la perfection doivent beaucoup à une interprétation impeccable malgré son renouvellement systématique.
Black Mirror nous entraîne dans ces questionnements tout en étant un produit divertissant de qualité. Il est d’ailleurs amusant de savoir que la société de production de la série n’est autre qu’une filiale d’Endemol, le groupe ayant produit la grande majorité des télé réalités à travers le monde. Cependant, comme beaucoup d’autres avant, elle amène le débat et suscite les interrogations. On ne peut s’empêcher de penser à Orwell évidemment.
Alors quelque chose qui fait autant d’effet ne peut décemment pas rester dans l’ombre. Fort d’un succès mérité, on attend depuis de longs mois maintenant une troisième saison déjà annoncée. Si Charlie Brooker daigne y consacrer le temps nécessaire, on peut s’attendre à de belles choses pour 2015 et on a vraiment hâte !
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