« Il est venu le temps des cathédraleeeeeuuuuuu…». Avec la comédie musicale de Luc Plamandon et Richard Cocciante, on peut dire que le roman de Victor Hugo a beaucoup souffert, subissant les derniers outrages des multi-adaptations. Après que Disney s’en soit saisi pour le plier à son univers naïf et coloré, après l’interprétation de Gina Lolobrigida hyper sexuée, en totale contradiction avec le personnage d’Esmaralda, femme-enfant plus que mama italienne, voici une nouvelle version sous la forme d’une bande-dessinée déjà disponible en librairie. «L’intention de départ, c’est la faire à notre vision, selon notre envie, nous dit Jean Bastide qui a dessiné l’album. C’est une histoire universelle dont les thèmes restent encore d’actualité. J’ai l’impression que nous sommes tous proches de chacun des personnages, tour à tour. On a endossé chaque casquette, on se retrouve un peu dans chaque personnage. » Robin Recht, qui a écrit le scénario, s’est quant-à lui totalement détaché des adaptations antérieures. «Moi, je n’y ai pas du tout pensé, si je m’étais arrêté à tout ça, je crois que je n’aurais pas eu envie. Quand j’ai lu le livre, j’y ai vu des choses que j’ai eu envie de mettre dans le media dans lequel je m’exprime, celui de la BD. J’ai découvert quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout. On a une image très gothique, noire et lourde de Notre Dame de Paris, mais en fait c’est un roman très populaire, léger, qui aime la foule et les gens, très haut en couleurs, avec beaucoup de figurants. Il m’a beaucoup plus intéressé que ce que j’espérais y trouver, par delà son côté sombre. C’est un plaisir personnel et un peu égoïste de donner ma vision du livre».
Pari audacieux que de vouloir concentrer les presque mille pages du roman en une bande-dessinée en trois volumes, qui passe forcément par des aménagements du récit et de ses modes de narration. «Victor Hugo, c’est une écriture très 19ème, d’un auteur immensément talentueux, avoue Robin Recht. Donc refaire du Victor Hugo n’aurait eu aucun sens. Le paraphraser serait revenu à paraphraser le génie, ça aurait été totalement futile. On se sert d’une nourriture très riche pour donner une vision d’une petite partie du diamant, nous n’avions pas vocation à tourner tout autour de l’œuvre. L’idée du flash back qui introduit un narrateur omniscient éloigne la narration de celle du bouquin. Nous sommes plus à hauteur d’homme, c’est une vision plus terrienne. Il ne peut pas tout voir et donc offre un certain angle de vue à l’histoire. Et puis j’ai une vraie sensibilité avec la nostalgie, j’avais envie que ce soit raconté comme une France de jadis, avec un côté carte postale, idéalisé, mélancolique. Je voulais donner une vision de ce qu’était la France au 19ème, première puissance mondiale, cultivée, rayonnante».
C’est la première collaboration entre Robin Recht et Jean Bastide. Le premier – qui habituellement dessine – occupe ici le poste de scénariste pour la première fois. «Ca s’est fait un peu par hasard, dit-il. Mais c’est très agréable, car normalement, en tant que dessinateur, je suis amené à finaliser la vision d’un autre. Là c’était l’inverse qui s’est produit et j’ai beaucoup aimé être surpris. Alors c’est vrai qu’au début, j’étais sur un storyboard très précis et Jean s’est senti à l’étroit. Il avait besoin de plus d’espace. Je suis donc arrivé à lui fournir des choses beaucoup plus schématisées pour qu’il ait plus de latitude. J’étais plus directif, mais je me suis aperçu que Jean avait besoin de moins de cases par pages que moi, il a donc fallu s’adapter. On a appris à se connaître petit à petit». Jean Bastide confirme cette étroite collaboration, jusque dans le design des personnages : «Nous avons travaillé de concert pour la physionomie des protagonistes. Quasimodo a, par exemple, beaucoup évolué. Au début, il était plus proche de la vision de Disney, un homme un peu trapu, pas très impressionnant pour arriver à cet espèce de Hulk gigantesque. Effectivement, dans le roman, il est décrit comme une puissance de la nature. Le dessin permet ce genre d’extrapolation à outrance. Pour Esmeralda, nous voulions quelqu’un qui soit Lolita mais pas femme fatale. Ce n’est pas une femme qui contrôle sa séduction. Elle est sensuelle et plaît aux hommes, mais elle se contente d’être elle-même. Elle s’amuse avec, sans en mesurer la portée, mais elle va découvrir que c’est un jeu dangereux. Je voulais lui donner très peu de formes, elle a 14 ans dans le livre, c’est une femme enfant».
Inconsciemment, le souvenir de la lecture du roman de Victor Hugo laisse des images de décors grandioses et très incarnés dans la tête. Ce sentiment est sans doute renforcé par les adaptations cinématographiques dont la reconstitution historique du Paris de l’époque était très hollywoodienne, foisonnante. A contrario, la bande-dessinée, hormis quelques dessins pleines pages grandioses et aériens ne fait pas de Paris un personnage à part entière. Robin Recht nous confirme cette intention. « On a collé au récit, les scènes valorisent l’histoire, à hauteur d’homme, qui donne une place au peuple en tant que figurant actif. Le décor n’est pas encore un personnage, ça va le devenir par la suite mais je n’avais pas envie de faire de Paris une entité en elle-même. C’est un décor propice à toutes les ambiances que l’on peut imaginer. C’est un Paris fantasmé, romantique, foisonnant, misérable,mais pas forcément une réalité historique. J’ai voulu placer la caméra très proche des personnages, il n’y a pas de plan de grue qui survole le décor en essayant d’avoir une amplitude. Nous sommes suffisamment proches de la foule pour que chaque physionomie soit détaillée, Jean m’a détesté pour ça, car c’était très compliqué à dessiner. On ne pouvait pas s’en sortir sans incarner». Jean Bastide nous fait part des autres enjeux liés au dessin : «Cet album ne se déroule quasiment que de nuit et d’un point de vue couleurs, ça peut devenir très vite monocorde, ennuyeux pour l’œil du lecteur. Il a fallu trouver des trucs pour sortir des camaïeux de bleus. On essaie d’introduire des scènes avec la présence de flammes pour avoir des couleurs plus chaudes».
Autre a priori qui colle à l’œuvre de Victor Hugo, c’est son aspect gothique et très noir. Quelle n’est pas la surprise du lecteur de constater que le premier volume de la bande dessinée est au contraire très drôle et léger, de façon inattendue. «Mais le roman était déjà très léger, s’exclame Robin Recht. Je n’ai pas poussé cet aspect-là, mais j’ai peut être plus mis le focus dessus. On est très proche de la farce pendant un bon tiers du roman, je ne m’y attendais pas forcément en lisant le livre. Ensuite, il y a le temps du drame et celui du romantisme, mais le début est très proche de la comedia del arte, très populaire. C’est en fait l’histoire d’un mec qui passe une très mauvaise journée, ça m’a beaucoup fait rire en lisant le livre. J’avais envie que les lecteurs se marrent aussi en lisant la BD. Le danger est très lointain, on a quand même l’impression qu’il ne peut pas lui arriver grand-chose. Le vrai danger vient plus tard avec la pression de l’état, un rouleau compresseur qui se met en marche, qui s’appelle la justice des hommes, qui est aveugle et très violente. Victor Hugo utilisait beaucoup l’amplitude. Par exemple, il pouvait aller du jeu de mot le plus grossier à la phrase de la plus grande élégance».
Ce premier volume réussit donc un double pari. Celui d’exister à part entière en parvenant à incarner l’univers du roman de belle façon et en faisant tomber nos a prioris. Et celui de donner l’envie de se replonger dans l’œuvre de Victor Hugo sans craindre d’y trouver la lecture scolaire et classique qu’on pouvait craindre.
Propos recueillis le 19 mai 2012 à Toulouse
Remerciements : Raphaële Perret
Notre Dame Tome 1 « Le jour des fous » de Robin Recht et Jean Bastide (Glénat) – Disponible
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