C’est l’un des événements de la rentrée cinématographique 2013, Snowpiercer, le Transperceneige le nouveau film de Bong Joon Ho est attendu avec impatience suite à deux œuvres majeurs du Sud-Coréen, Memories of murder et The Host, qui l’ont placé instantanément dans le peloton de tête des réalisateurs de génie, de ceux qui construisent une œuvre à part entière et singulière. La bande-dessinée dont le film est l’adaptation vient de ressortir dans une version intégrale aux éditions Casterman. Le Transperceneige est un train qui abrite les derniers survivants de l’humanité après qu’une bombe météorologique ait plongé la planète dans une nouvelle aire glaciaire. Roulant sans jamais s’arrêter, il transporte les derniers représentants de l’espèce humaine, selon un nouvel ordre social où les habitants des wagons de queue, les « queutards », tentent de survivre dans des conditions sanitaires indécentes tandis que les nantis vivent en tête du convoi dans l’opulence et la décadence. L’argument post-apocalyptique n’est pas nouveau, pas plus que la description d’une société reposant sur la lutte des classes, récurrent de la littérature de science-fiction, dont on pourrait multiplier les exemples. Mais alors que ce motif est souvent signifié de façon verticale, le Transperceneige en donne une vision horizontale, qui est une vraie contrainte en terme de découpage, d’espace et de cadre, mais symbolise aussi de façon très manifeste la fuite en avant aveugle et sans fin dans laquelle l’homme s’est lancée.
Jacques Lob et Jean-Marie Rochette ont inventé une mythologie complète autour de ce dernier voyage de l’humanité, basée sur la politique, la religion, le sexe et le jeu. Le régime ici est militaire et propagandiste, qui réprime dans le sang toute tentative insurrectionnelle des queutards et abreuve la population de messages pour manipuler et endormir les esprits. Plusieurs croyances cohabitent dans le train, de celle qui voue un culte à la « Sainte Loco » en faisant de la voiture de devant un véritable Dieu, aux « cosmosiens » persuadés de voyager dans l’espace à bord d’un vaisseau à la dérive. Les loisirs sont occupés par des tirages au sort dont le premier prix est un voyage virtuel, ou par la fréquentation des prostituées. Les auteurs ajoutent une foule de détails sur la production de nourriture, le contrôle des naissances… qui achèvent de rendre crédible le voyage dans le Transperceneige. Ce microcosme agit donc classiquement comme une sorte de loupe grossissante de notre propre société, à peine exagérée et surtout toujours pertinente dans sa capacité d’observation, plus de trente ans après. Le premier volume est un véritable chef d’oeuvre, qui pose les bases de l’univers tout en s’appuyant sur des personnages forts qui ont valeur quasi messianique. Il fonctionne en parfaite autonomie, se suffit à la lui-même dans son refus d’apporter systématiquement des réponses, il conserve sa part de mystère.
Les deux suites écrites dix ans plus tard ne parviendront pas à réitérer ce pouvoir de fascination. Si le graphisme évolue vers plus de noirceur, les enjeux narratifs se répètent, échouant à renouveler l’intérêt. Il s’agit toujours ni plus ni moins pour un personnage de faire un voyage de l’arrière vers l’avant du train, avec une histoire d’amour a priori impossible comme ciment du récit. On aurait aimé en savoir plus sur les wagons de queue, la vie à bord qui n’est que suggérée. On aurait voulu que les auteurs développent davantage de figures issues du « tiers convoi » afin de renforcer la critique sociale et politique. Bong Joon Ho devra réussir la synthèse des différentes intrigues et des personnages du premier volet et des suivants – qui ont des fonctions et des objectifs identiques – et dynamiser l’action pour éviter les ventres mous dans la narration de la bande-dessinée. On comprend cependant ce qui a pu intéresser le Sud-Coréen dans cette adaptation, au delà du défi cinématographique qui consiste à incarner cet univers, et les contraintes qu’il pose s’agissant de la mise en scène. Le réalisateur a toujours été travaillé par la question des inégalités sociales dans ses films, que ce soit dans Memories of murder, The host ou Mother, et la façon dont elles agissent sur les choix et les comportements de ses protagonistes. On peut alors parier sans beaucoup se tromper qu’au-delà d’un grand spectacle de science-fiction spectaculaire qu’il sera sans doute, Snowpiercer, le Transperceneige contiendra également un sous-texte politique qui fait la force des meilleurs films d’anticipation.
Note:
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