Est-il possible de parler des Gardiens de la Galaxie comme d’un syndrome ? Peut-on en faire un film de plus, dans la nébuleuse Marvel ? Un film de trop ? Le, les, films de trop sont là depuis longtemps. Thor, Captain America… beaucoup de titres à recettes, infantilisant leurs publics, jamais vraiment mauvais, mais toujours un peu ennuyeux, pas très drôles et toujours laids formellement. Est-ce que malgré son désir de légère marginalisation, les Gardiens de la galaxie ne tombe pas dans les même travers ? L’objet est différent et se veut manifestement plus décomplexé. Il est alors intéressant de voir quelles stratégies usent les studios Marvel et les producteurs de blockbusters pour continuer à lancer des franchises tout en prenant – peut-être – conscience de la dangerosité de leur impérialisme sur le marché des blockbusters. Le danger étant que les films à très gros budgets se confondent bêtement avec les films de super-héros, tous bâtis sur le même modèle et que ces films eux-même se noient dans un seul univers basé sur leur propre interchangeabilité.
Le film est très largement soutenu par la presse en Amérique, comme en France. La première raison à cela vient probablement de l’humour. Le film est honnêtement, sincèrement drôle et attachant dans ses tentatives de sabotages des mécanismes habituels des blockbusters. Plusieurs séquences montrent les personnages se disputer sur les expressions solennelles usuellement utilisées dans les séquences « émotion ». Arrivé à la fin d’une sempiternelle communion héroïque, un raton laveur parlant fera remarquer verbalement à quel point tout cela est ridicule. Sans que le film relève de la parodie, on peut penser à Adam Mckay, et notamment à The Other Guys, parodie de film d’action dans laquelle les personnages passent leur temps à verbaliser et à déconstruire les engrenages systémiques des films.
Le plus gros succès récent d’un film de la franchise Marvel fut Avengers, en 2012 et indiscutablement le film était meilleur que ses confrères, plus inventif, moins empesé… Il ne lorgnait pas vers le constipé et sentencieux Nolan auquel beaucoup de blockbusters se réfèrent malheureusement. En quoi les Gardiens de la Galaxie n’est-il pas Avengers ? Il fonctionne sur le même modèle : un groupe de super-héros combat des méchants en manteaux noirs et le même genre de gros engin finira par s’écraser sur la planète des humains après avoir largué des tonnes d’engins plus petits, pour une bataille spatiale qui n’est pas à la hauteur de J.J. Abrams dans ses récents Star Trek.
Il fallait, pour que fonctionne Avengers, un mélange entre une reconnaissance de personnages déjà connus et l’apport de quelques nouveaux. Les Gardiens de la Galaxie diffère en cela qu’il met les pieds dans un univers inconnu du spectateur néophyte. Mais les éléments composant cet univers sont familiers et dialoguent avec plusieurs autres récents blockbusters et tendances cinématographiques diverses. Le film s’ouvre sur la mort d’une mère, dans les années 80. Impossible de ne pas penser à Super 8 qui commence d’une manière similaire, les couleurs et les vêtements sont les mêmes et quelques courtes minutes plus tard, le gamin venant de perdre sa mère se fait enlever par un vaisseau extraterrestre. Le film commence comme s’ouvrait Super 8 et clot son ouverture par la fin de Super 8, à savoir un vaisseau quittant la terre.
Le personnage quant-à lui restera dans les années 80, et la BO également. Le nombre de films récents jouant avec l’imagerie 80’s est incalculable. De ceux qui en sont de purs esclaves, comme le récent Ping Pong Summer, Drive (film par ailleurs passionnant)… à ceux qui s’attaquent au problème comme le deuxième – extraordinaire – volet d’Anchorman ou Computer Chess, l’imaginaire des années 80 est régulièrement réactualisé par le cinéma. Mais alors, la nostalgie de Guardians of the Galaxy semble soudainement sincère, quand le personnage principal fait référence à Footloose (1984) en précisant bien que c’est un film « avec Kevin Bacon ». Cela touche, car récemment, Footloose fut l’objet d’un insignifiant remake et cette citation n’est peut être pas si anodine. D’autres éléments du film apparaissent comme des petits soupirs face à cette instrumentalisation des années 80 en vogue dans beaucoup de films actuels, de Xavier Dolan aux comédies françaises les plus populaires. « Touche pas à mes années 1980 », nous dit Star Lord (Chris Pratt, formidable), quand il récupère violemment son walkman aujourd’hui vintage, des oreilles de son geôlier.
Une autre similitude avec un blockbuster différent et démarcation de la franchise Marvel, se trouve dans la comparaison avec le Pacific Rim de Guillermo Del Toro, lui aussi volontairement plus jubilatoire et coloré que ses adversaires. Guardians of the Galaxy ne se gêne d’ailleurs pas pour voler un personnage à Pacific Rim, en l’appelant ici le « collectionneur », changeant Ron Perlman en Benicio Del Toro et en insérant la même – à quelques petits détails près – scène post générique qui utilise ce personnage.
Les Gardiens de la Galaxie oscille en permanence entre une volonté de faire revivre une époque qui pourtant n’imprègne pas tant que cela les décors rétro-futuristes du film et une obligation de s’inscrire dans la continuité d’une des franchises cinématographiques les plus rentables au monde. Un walkman, des chansons et quelques cassettes sont les seuls réels éléments tangibles de cette présence diffuse des années 1980, mais le bain de couleurs qu’est le film et ses personnages blagueurs parvient tout de même à distiller quelque chose de l’ordre de « l’essence des 80’s » allant au-delà d’une simple accumulation d’éléments preuves. Si beaucoup pourront percevoir cela comme frustrant et insuffisamment fouillé, il est pourtant curieux de constater une telle présence d’une époque que l’on a tous l’impression de connaître (tous âges confondus), dans un film qui ménage ses références, qui ne se laisse pas aller plus que cela à la fétichisation. Le film reste poli face à ce qui semble s’apparenter à autre chose qu’une instrumentalisation de la nostalgie, sans toutefois aller pleinement vers un usage critique ou auto-réflexif de celle-ci.
Si le film formule explicitement ses références, notamment par le biais des musiques, il compose ses personnages avec l’aide des héros Reaganiens des années 80. Sympathiques, plus drôles que torturés, les héros des Gardiens évoquent l’approche du personnage qu’avait le blockbuster 80’s. Que ce soit Spielberg ou McTiernan, tous ont créé des personnages tendant à êtres des antidotes aux Jack Nicholson et autres Robert De Niro violents et névrosés des années 70.
Les films de super-héros sont face à une incapacité de nous dire quelque chose du monde de manière volontaire. Ce que nous disent ces films, ce sont autant de syndromes, en tant qu’épiphénomènes engagés dans des processus de production ultra normés. Si Les Gardiens de la galaxie possède cette petite étincelle nostalgique, il nous dit tout de même, dans sa transposition de l’Etat américain en assemblée galactique menée par Glenn Close, que cet Etat est bon et va jusqu’à lui remettre la pierre que tous convoitent pour sa puissance démesurée, la confiance est aveugle.
Chris Pratt, alias Star Lord, ne fait pas que remettre la pierre à l’Etat protecteur, il la remet à Glenn Close, sex-symbol des années 80 (liaisons fatales, les liaisons dangereuses, etc.). C’est tout le film qui se voit alors remis entre les mains bienfaitrices du symbole d’une époque citée en permanence, il s‘en remet aux années 80…
Le libéralisme et consumérisme forcené des eighties peut ici se traduire par la débauche de couleurs et d’effets lumineux, mais le film atteint parfois une forme de grâce, comme dans une séquence entre vie et mort où Zoe Saldana flotte immobile dans l’espace, ou quand « Groot », arbre humanoïde fait pousser une fleur dans sa main pour la tendre à une petite fille sans-abri.
Difficile tout de même de trancher sur la question de savoir si les effets visuels colorés et explosifs du film relèvent d’une dissolution des images dans un tout-effets contemporain ou d’une patte 80’s, kitsch et colorée, actualisée par les technologies numériques.
On peut être agacé par ce magma, cette débauche de micro-ruptures de rythmes et de tons, ce confort nostalgique des années 80… Mais constater tout cela, c’est aussi constater une plus grande richesse et c’est peut être par ses excès et par ses passages inattendus que le film séduit le plus. Les héros sont plutôt des Peter Parker maladroits que des Thor ou des Tony Stark puissants et baratineurs. Si l’humain, mâle et américain reste le personnage principal, il est accompagné d’une femme à la peau verte – qui n’a pas besoin d’être sauvée, comme le sont souvent les lamentables personnages féminins de beaucoup de ces films –, d’un raton laveur doué de la parole, lui même suivi par un personnage visuellement très réussi d’arbre à vague forme humaine. Ces héros sont des rebuts et malgré leur décoration finale façon Star Wars, ils repartent entre-eux pour faire « un peu de bien et un peu de mal ». L’Etat américain impérialiste n’aura pas su totalement convertir ces êtres hybrides et solitaires qui se dirigent vers un deuxième film que, peut-être, on commence déjà à regretter.
Expression d’un mélange de tendances au premier abord, le film ne se laisse finalement pas si facilement approcher. Il se pense plus largement comme un symptôme des blockbusters en général que comme un cube de plus dans le grand coffre à jouets Marvel. L’abandon total d’une éventuelle pensée inscrite dans le film lui-même comme nous l’ont pourtant apporté des blockbusters comme ceux des Wachowski ou de James Cameron, se convertit en une masse de signes et de citations, laissant parfois la place à d’élégants moments de grâce. Ce que d’autres films délaisseraient, au prix de toujours plus de fun et d’action rigolarde.
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