Mustang, premier long-métrage de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven, est ce que l’on nomme à juste titre un film à festivals. Thème fort, budget modeste, casting amateur, tout y est. Et, comme pour beaucoup de ces films, la démonstration nuit souvent à la qualité filmique. Ergüven semble avoir considéré que les thèmes traités, qu’il s’agisse de la condition des femmes ou de l’extrémisme religieux sont à tel point au goût du jour qu’ils lui garantiront d’emblée une réussite artistique, voire commerciale et qu’ils devaient donc être constamment soulignés. À moins que l’on soit adepte du bourrage de crâne, il est conseillé d’éviter Mustang.
Le film raconte l’histoire de cinq sœurs orphelines, élevées par leur oncle (sorte de mélange entre Thénardier et Dark Vador) et leur grand-mère, dont le rôle oscille entre adjuvante et ennemie. C’est à travers les yeux de la Benjamine, âgée d’une dizaine d’années, que se déroule l’action. Cette fratrie féminine, victime de mauvaises langues qui les accusent de débauche, se retrouve peu à peu cloîtrée dans l’attente d’être mariée de force à des inconnus, ce qui permet à la réalisatrice de jouer sur la répétition des scènes de mariages arrangés. Le film s’attache aux réactions de chacune, certaines soumises, d’autres en révolte, il s’attache surtout à symboliser de mille et une façon leur désir de liberté, abusant de scènes uniquement démonstratives qui se suivent et se ressemblent. On les verra donc faire la cuisine, la vaisselle, mettre le voile, subir des émissions télévisées appelant à la soumission des femmes, regarder au-dehors d’un air langoureux, scènes qui composent la majeure partie du film. Ailleurs, la réalisatrice use et abuse de scènes où les sœurs jouent à des jeux d’enfants, dont elle semble espérer tirer un peu de magie, peine perdue. Cette alchimie entre les actrices n’existe quasiment pas, outre le fait que les cinq ont apparemment été choisies pour leur physique, censé les faire rayonner au milieu d’un univers composé de gros barbus ivrognes et de femmes-vautours voilées. Mais là aussi, la mise en scène en rajoute, donne dans un esthétisme qui rappelle plus les affiches de parfum que des plans de cinéma.
Ce manque de subtilité transparaît d’ailleurs dès les premières secondes et, prenant ainsi la place du propos, il se subdivise en une multitude d’aspects. Entre un symbolisme facile – voiture qui pénètre dans un sombre tunnel, La Liberté Guidant le Peuple de Delacroix arrachée d’un mur, les armes à feu qui servent à tuer et à célébrer les mariages -, un jeu d’acteur, contrairement à ce qui se dit partout, souvent très approximatif, un rythme inexistant, car constamment voué à la démonstration, le film s’enfonce dans une mélasse de sentimentalisme creux, bercé par un chuintement de violon omniprésent. La musique, constamment triste, le reste même lors des scènes de réjouissances, voulant signifier que la joie n’existe pas dans ce monde « archaïque ». Tout aussi pénible, bien qu’inévitable, est l’écueil d’un « ailleurs » mythique, (le tableau de Delacroix, le pont sur le Bosphore, le chewing-gum, le football), qui n’est, tout bien pesé, qu’un appel vers l’occident. Cet aspect là est pourtant en accord avec la thématique générale, il est normal que ces jeunes filles cloîtrées dans un monde d’obéissance aveugle ne rêvent que du monde extérieur. Mais là encore, la réalisatrice ne l’illustre qu’à grand renfort de lieux communs.
On aimerait trouver de quoi contrebalancer ces critiques, quelques solides qualités, mais c’est peine perdue, puisque le film ne parvient pas à dépasser cette atmosphère effectivement pesante et anxiogène mais grossièrement soulignée. Passée la surprise du début, la réalisatrice ne peut dissimuler qu’elle n’a guère de style et tente de se reposer sur une surenchère dramatique incohérente (suicide, viols, tensions factices) qu’on ne remarque à peine parmi les cache-misères. Toutes les tentatives de stylisation (certains effets de montage ou de rythme) sont empreintes d’une telle timidité, rentrent si vite dans le rang, qu’on les remarque seulement. Aucune réelle audace d’un bout à l’autre. On peut toutefois lui reconnaître un certain sens du rythme, ainsi que quelques idées visuelles ou scénaristiques réussies (l’attitude de l’oncle lorsqu’il vide son chargeur en souriant juste à côté de la mariée, la lampe qui éclaire la robe de l’une des sœurs alors qu’elle subit un examen pour constater sa virginité, la tante qui s’en va casser la ligne à haute tension pour cacher aux hommes la fugue des sœurs) mais ces rares embellies sont constamment gâchées par le manichéisme apposé sur tous les personnages à la rare exception de la grand-mère, dont le rôle est peut-être le plus intéressant.
Il est possible de voir en Mustang l’illustration d’une tendance actuelle, où la qualité d’un film est supplantée par son message. Où un vague sentimentalisme comble chaque trou scénaristique. Où il importe surtout de traiter des thèmes difficiles. Cela n’a rien de nouveau, mais la caste cinématographique la plus opportuniste semble s’être donné le mot, d’où un parachutage constant de films à peine regardables mais « courageux », souvent produits en France, bien que se déroulant aux quatre coins du monde, et unanimement salués par la presse. Avis aux amateurs.
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