Où est l’audace ? La vogue du moment serait-elle de s’effacer au profit des succès et des figures déjà ancrés dans nos imaginaires ? Nombreux longs métrages d’épouvante se retrouvent complètement dénués d’originalité mais surtout d’âme. L’essence même de la terreur se retrouve glacée par son incapacité à se renouveler. Certains cinéastes actuels préfèrent se reposer sur certains acquis à défaut d’en créer de nouveaux. Faire écho à quelques références cultes se révèle être un humble hommage, mais lorsque ces citations possèdent et hantent le film jusqu’à le priver de sa propre existence, nous ressentons malgré nous une fadeur lancinante à son égard. Nous voulons frissonner à nouveau, nous voulons être surpris, désaxés, émerveillés. Les références à outrances vont donc se montrer trop influentes et écrasent l’écran faute de le sublimer. C’est le cas de Belenggu (Upi) et de The Station (Marvin Kren), vu récemment à la dix-neuvième éditions de l’Etrange Festival.
Belenggu, qui est le septième film de la réalisatrice indonésienne Upi, relate la sombre vie d’Elang, jeune adulte qui erre sans jamais trouver d’idéal. Hanté par des images de meurtrier-lapin qui se plaît à poignarder ses victimes dans une marre de sang et une lumière surréaliste aveuglante, il tente d’élucider le mystère et la raison de ses flashs. S’amorce alors un cercle vicieux mêlant réalité et onirisme, prémonitions et rêves, psychisme et fantasme. Upi perd ses personnages dans un labyrinthe Lynchien réutilisant de nombreux motifs qu’on lui assimile tel que le cow-boy, la femme fatale atypique, l’homme lapin ou le célèbre théâtre. Pourtant ce n’est pas une parodie de Twin Peaks qu’on perçoit mais un long métrage qui se veut entier et achevé. Mais on ne peut s’épanouir en puisant dans le déjà existant et même si la mise en scène est parfaitement maîtrisée et belle esthétiquement, l’essence qui en émane est dépourvu d’une identité propre. La création cinématographique reflète les pensées du cinéaste, ce qu’il veut défendre, montrer, transmettre. Le réalisateur véhicule ses aspirations à travers des images qu’il nous transfuse grâce à nos organes (œil, oreille) et nous sommes -plus ou moins- conscient de cette intrusion. Nous accueillons partiellement un autre état d’esprit, une conception du monde, des idées nouvelles et c’est à nous de réagir ensuite. Mais lorsque le cinéaste ensevelis sa propre doctrine sous des références trop imposantes et écrasantes car déjà connues et assimilées par le spectateur, le long métrage se mue en simple ébauche atrophiée, réduit au statut de pâle copie. Aussi pâle que les glaciers de The Thing. Un chien s’essouffle sur la neige, démasquant quelque chose de suspect, un intrus qui semble se préparer à perturber le quotidien de scientifiques implantés dans les montagnes pour leurs études. J’ai dit The Thing ? Pardon, je voulais dire The Station.
L’autrichien Marvin Kren imite John Carpenter avec une maladresse flagrante et cruellement négligente. L’anti-héros bourru, son chien et son équipe de scientifique décèle une anomalie génétique dans le froid intersidéral. Une des rares séquences réussie dans The Station est la découverte d’un glacier recouvert de sang, créant par cette simple image une angoisse grandissante et un malaise inattendu. Le reste n’est qu’un sombre chaos, se déclinant en multitude de personnages bâclés, en sous-intrigues ennuyantes et d’un scénario frôlant l’incompétence. Le cinéaste annonce qu’il ne veut pas user d’effets spéciaux numériques et c’est tout à son honneur. Mais les « monstres » sont si grotesques qu’ils n’influent en nous pas une once de tension ou de peur, la où celui de The Thing semait la paranoïa et l’inquiétude. Les séquences en huis clos sont brouillonnes, le montage s’emballant fatalement, les plans s’enchaînant trop rapidement, la caméra étant trop mouvante. Même les cris ne semble pas réglés sur la bonne tonalité. Ainsi tout comme dans Belenggu, l’image –quand elle reste en place- reste le seul point fort quand l’écriture se disperse et que les références engloutissent le film.
Pourquoi les lapins deviennent l’objet horrifique de certains cinéastes ? Déjà dans Les Rongeurs de l’Apocalypse (William F. Claxton, 1972), puis Donnie Darko (Richard Kelly, 2001), même Anya (de Buffy contre les vampires) est terrifiée par ces petits rongeurs aux allures de conte de fée. Est-ce un désir de renverser les codes ? Faire de ce qui est traditionnellement mignon, un sujet de crainte ? Les grandes oreilles sont-elles menaçantes ou ont-elles un double sens ? Le problème ne réside pas dans la conception d’effrayer avec Panpan (Bambie, Disney, 1942) mais dans la réutilisation extrême de ce procédé. Les vaches, les moutons, les canards ne demandent qu’à être sollicités ! L’inventivité n’a aucune limite. La création est inépuisable. Upi aurait pu mettre en œuvre un lapin-tueur novateur avec ses propres codes horrifiques mais hélas les situations, intrigues et visuel trop pompés sur Lynch ne font qu’épaissir la couche de références qui entrave le film. De plus, Belenggu s’encombre d’une demi heure de trop, se perdant dans la sur-explication, la où David Lynch reste subtil et nébuleux. Ainsi, nos deux cinéastes n’ont pas réussit à imposer leur propre style, leurs idées se noyant dans un bain de références paralysant leurs œuvres, les dénuant d’une quelconque ardeur.
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