Les bottes sont enfin restées dans la tente pour cette troisième soirée, et pas des moindres, au Fort St Père. L’affiche est belle pour les initiés et on avait hâte d’entamer la dernière ligne droite, qui s’annonce d’ailleurs en cette fin de journée, plutôt rock.
Les petits jeunes de The Districts ont l’honneur de débuter sur la scène du Rempart. Ces Américains ont d’ailleurs été mis en valeur par le NME et classés parmi les révélations de l’année et représentaient par conséquent une belle attraction. Présentant leur nouvel album A flourish and a Spoil, ils ont à cœur de le mettre en valeur, la majorité des chansons du set en sera d’ailleurs issue. Débutant avec Chlorine, chanson relativement calme, The Districts ne prend personne à rebrousse poil. À vrai dire, la bande à Rob Grote distille plutôt des chansons pop rock, à l’opposé donc de notre première soirée ou le garage était de sortie. L’horaire convenait ainsi plutôt bien pour ce genre de prestation et le public, quoique moins nombreux, se montrera plutôt convaincu. Quelques envolées tout de même seront de la partie avec par exemple le single Peaches, qui aura le mérite de faire se trémousser le public, Bold nous fera profiter de ce roulement de batterie avant de secouer son monde. The Districts monte en puissance tranquillement, nous ressortant l’autre tube de l’album 4th and Roebling qui marquera les esprits. On ressortira de ce concert plutôt content, avec sans doute un sentiment de déjà-vu, mais on ne s’en souciera pas davantage, car ça en valait la peine.
De l’autre côté, sur la Grande Scène, C’est Father John Misty qui se prépare. La foule s’agrandit un peu pour recevoir la bénédiction du grand barbu ! Ce dernier avait déjà foulé la terre du Fort en 2011 en tant que batteur du groupe Fleet Foxes, alors très en vogue. C’est cette fois-ci bel et bien en tant que chanteur que Joshua Tillman revient et pour un court instant, la folk prend possession des lieux. Débutant par le titre éponyme de son nouvel album de 2015, I Love You, Honeybear, il n’a aucun mal à capter l’attention d’un public de début de soirée. Nous le regarderons de loin, profitant du calme relatif pour un moment de pause, mais le père se déchaîne et se déhanche autant que faire ce peut, pour occuper une scène peut-être bien grande ! La musique est certes agréable et loin d’être déplaisante, mais on est un peu comme Tillman, Bored In The USA ! Un peu comme Fleet Foxes en 2011, on apprécie, mais rien de plus… La prestation en aura sans doute comblé plus, car la qualité du show était au rendez-vous. On ira pour notre part recherchez de nouveaux frissons de l’autre côté.
Viet Cong investit la Scène du Rempart où s’est déjà amassée une foule compacte qui veut vérifier si la réputation live des Canadiens n’est pas usurpée. On sait pour les avoir déjà vus à Toulouse en juin dernier que Matt Flegel et les siens sont à la hauteur des attentes procurées par un des meilleurs disques de ce début d’année. Ici, en plein air et alors que le jour n’est pas encore tombé, l’impact produit n’est pas tout à fait le même que dans une salle qui sent bon la sueur, mais Viet Cong va viser pour l’essentiel à l’efficacité avec un set compact d’une heure. Si l’album éponyme contient quelques titres à l’évidence pop tels que Continental Shelf ou Silhouettes, qui produisent logiquement leur petit effet sur le public, l’essence de la musique des Canadiens se situe plutôt dans ces morceaux au long cours, tout en répétition et en ruptures de rythme, comme Newspaper Spoon ou le monumental Death. Ce titre de douze minutes qui clôture l’album est joué ce soir dans une version de plus de vingt minutes, qui permet à la structure de s’étendre à n’en plus finir et aux motifs de produire un effet mental proche de la transe. Mike Wallace à la batterie est le véritable chef d’orchestre de ce morceau, immense grand huit émotionnel qui est aussi l’une des expériences live les plus puissantes vécues de récente mémoire.
À peine le temps de nous remettre de ces émotions que Savages démarre de l’autre côté du site l’un des concerts les plus attendus du week-end. Les quatre filles, toutes vêtues de noir commencent en territoire familier avec deux titres – Shut up et City’s full – de leur premier album, Silence Yourself. Jenny Beth impose déjà sa présence animale, féline et charismatique et annonce la suite, des nouveaux titres issus des sessions d’enregistrement de leur deuxième opus. L’exercice n’est jamais aisé que de jouer des morceaux que le public découvre pour la première fois, surtout dans le contexte d’un festival, mais Savages ne sera pas timide, car ce sont pas moins de six nouvelles chansons qu’il sera permis d’entendre ce soir en guise d’avant-goût d’un disque qui s’annonce déjà comme un futur hit potentiel. Avec The answer, Sad person, Slowing down the world, I need something new et Evil, le groupe affirme qu’il n’est pas la chose d’un seul album, mais qu’il faudra encore compter avec leur punk rock racé à l’avenir. « This is a love song… quelle horreur ! » annonce Jenny Beth avant Adore, morceau atmosphérique qui permet de mesurer l’étendue du spectre vocal de la chanteuse, notamment dans les aigus, quand elle reprend le refrain « I adore life ». Il faudra attendre le début 2016 pour entendre ce nouveau disque… que c’est loin ! I am here remet les pendules à l’heure et clôture la section des nouveautés pour un finish de toute beauté. Sur Hit me, Jenny Beth quitte ses fameux talons aiguilles (léopards, ce soir), pour descendre dans les premiers rangs, provoquant un immense mouvement de foule quand elle demande au public de se rapprocher d’elle, avant de surfer au milieu des festivaliers heureux et surpris par une telle autorité. La chanteuse semble définitivement mettre un point d’honneur à faire monter l’ambiance de plusieurs crans et offrir un concert mémorable en se rappelant ses propres souvenirs malouins. « La première fois que je suis venu à la Route du rock, j’avais treize ans et j’étais là, dit-elle en pointant le doigt quelque part dans la foule. ». Un Husbands d’anthologie sera la deuxième occasion pour Jenny Beth de descendre dans le public, avant de conclure avec un Fuckers tout en montée de tension paroxystique.
C’est à Ride qu’incombera la lourde tâche de succéder à un tel moment. Andy Bell et les siens démarrent les hostilités comme de bien entendu avec un Leave them all behind qui nous transporte aussitôt au début des années 90, époque bénie de la noisy pop tendance shoegaze. On se souvient d’un concert du groupe en 1992 au Terminal Export, à Nancy. Le chanteur avait débarqué sur scène avec un grand bouquet dont il avait distribué les fleurs aux premiers rangs. Andy Bell ressemblait alors à un adolescent timide et romantique, maigre et aux cheveux longs et il y avait dans la musique de Ride quelque chose qui correspondait à l’époque et à leur état d’esprit du moment. Ce soir, Andy Bell apparaît avec quelques kilos en plus, des cheveux en moins et un chapeau vissé sur la tête. Si les morceaux procurent toujours un plaisir intact, voir Ride jouer en 2015 est une expérience au mieux agréable, au pire totalement hors de propos. Il faut en effet dire deux mots de cette habitude régulière depuis quelques années de programmer en tête d’affiche des festivals des groupes reformés pour l’occasion d’une tournée à l’éphémère estival. Quel intérêt que de voir aujourd’hui Slowdive, The Jesus & Mary Chain ou The Breeders sortis de leur retraite si ce n’est pour réactiver une nostalgie un peu factice ? Alors certes, le concert de Ride ne sera pas aussi gênant que Kim Deal reprenant The last Splash pour les vingt ans du disque, mais quand même ! On aurait préféré voir à l’affiche le présent ou le futur de la pop au du rock , Alt-J ou Future Islands plutôt que ce coup d’œil dans le rétroviseur un peu vain et inutile. C’est dit.
La Route du rock dit alors au revoir en quelque sorte au rock pur et dur, pour en explorer cette nuit encore des horizons plus ou moins éloignés. L’électro est de retour pour de bon ! Et c’est un petit habitué qui cette fois pourra investir la grande scène. On avait adoré son premier passage complètement dingue en 2011, sur ce qui était à l’époque la scène de la Tour, minuscule scène mais un lieu idéal pour voir Dan Deacon. Ce grand fou d’américain avait littéralement enflammé le public qui s’était regroupé à quelques centimètres de ses platines. Cette fois, c’est de plus loin qu’on le verra accompagné d’un batteur, qui se révélera par ailleurs excellent. Dan Deacon communie chaque fois avec son public. Il prendra d’ailleurs à plusieurs reprises la parole, en anglais dans le texte, pour faire différents exercices avec le public. Tout cela entremêlé de chansons électro très énergiques. Nous n’aurons pas le droit d’entendre Woody Wooodpecker cette fois, mais peu importe, son dernier album Gliss Riffer, sorti en 2015 regorge de compositions toutes aussi marquantes. À commencer par Feel The Lightning qu’on n’entendra pas ce soir, mais Sheathed Wings et Mind On Fire se chargeront de défendre ce dernier né. C’est un Dan Deacon comme à son habitude déchaîné que l’on retrouve aux platines, il sait mettre le feu et le mettra toujours. Un grand homme qui n’oublie pas de saluer avant son grand finish l’ensemble des personnes qui ont contribué à la mise en œuvre du festival. Epique !
Il fallait du niveau pour prendre la suite, et avec The Juan Maclean, on pensait bien qu’on allait s’en sortir. En effet, Nancy Whang qui a rejoint John Maclean pour son dernier effort In A Dream, n’est autre qu’une ex LCD Soundsystem, qui avait clôturé en beauté l’édition de 2007. L’album est par ailleurs excellent et on avait franchement hâte de voir ça sur scène. La désillusion a été en réalité quasi immédiate. Certes, The Juan Maclean présente une musique très disco pop, voire house, qu’on pourrait considérer comme datée, mais qui sur la platine donne une impression de maîtrise folle et assume complètement ce côté daté pour en faire sa plus grande force. Sur scène, malheureusement, on ne verra que le revers de la médaille… John Maclean apparait en sosie de Chris Elliot avec une veste en cuir essayant de trouver le bon son à la manière de Ross dans Friends. Nancy Whang, de qui on attendait tant, apparaît en dernière minute avec une coiffure tellement improbable qu’on ne peut croire que ce soit volontaire. Tout dans leur comportement, dans leur style, et du coup dans leur musique parait dépassé. On est un peu gêné de voir ce spectacle. A Simple Design a du mal à retranscrire ce qu’elle est sur l’album, John Maclean passe vraiment pour un ringard à chaque fois qu’il chante, même la magnifique chanson You’re A Runaway est un fiasco. Elle sera d’ailleurs notre point de départ. De loin et sans le visuel, effectivement, le concert semblait plus plaisant, en entendant Running Back To You… Une véritable déception qui n’empêchera pas de conseiller l’album.
Il nous fallait alors une bonne note pour terminer ce festival plutôt de bonne qualité, il faut le dire. Et cette note heureusement nous l’avons bien obtenue avec Jungle, groupe à la mode et fort de son succès depuis la sortie de son album éponyme en 2014. Il avait à l’époque explosé grâce à ses prestations scéniques, et sa réputation n’était effectivement pas usurpée. Avec un immense logo luminescent en arrière plan, son entrée est franchement bien mise en scène. Accompagné de deux choristes, le show peut commencer. Il faut dire que Jungle possède un attirail plutôt béton, en termes de qualité musicale et il ne manque aucune occasion pour enflammer le public. Le tube Busy Earnin’ sera le titre le plus mis en avant, grâce à sa grandiloquence mais The Heat n’est pas en reste. Jungle enchaîne les perles et ne s’arrêtera plus. Time s’allongera à l’infini, les Ohoho de Platoon raisonnent encore aujourd’hui dans les têtes du public, tout comme les sifflements de Smoking Pixels. Mais il est inutile de citer toute la setlist de Jungle. La prestation a été on ne peut plus convaincante et clôturera cette 25ème édition de la plus belle des manières.
Une année certes un peu moins fréquentée que la précédente, mais qui s’inscrit dans une moyenne haute pour la Route du Rock. Si chaque année pouvait avoir ce niveau, on en serait déjà ravis. Mais nous attendons toujours plus alors vivement l’année prochaine !
Note: