On en apprend souvent plus avec un bon disque qu’en dix ans d’analyse ou quelques séances éventuelles chez le juge d’application des peines. Dans les nouvelles chansons de Brigitte Fontaine, Lola finit aux Assises, Dieu la tête sur le billot et quant aux autres, entre deux poèmes d’amour ou de tendresse enfantine, ils en prennent tous plus ou moins pour leur grade. Ce nouvel opus prend parfois la forme d’un réquisitoire mais qui lui en voudrait ? N’est-ce pas souvent le sort des meilleurs disques ?
L’album démarre dans un frimas peu jovial. Crazy Horse, en effet, est un vent de guitares givrées sous lequel déferlent, vitesse grand V, telles une bande-annonce, les aventures de Lola – épopée en solitaire et martyre au féminin qui culmineront sur la fin du morceau en pur délire assassin. Société, c’est sûr, tu n’emporteras pas ce 45 tours au paradis. Pas plus que l’Eglise et ses adhérents, d’ailleurs, ne danseront la gigue sur le mémorable Au diable Dieu. On dirait qu’on avance dans ce disque comme sous le soleil d’hiver. Des portes claquent, des gifles aussi. Dans Delta, Brigitte chante son propre corps transmué. De la pure poésie, vous l’aurez bien compris, où l’on vante l’amour et le sexe à plus de soixante ans. Et nota bene, parental advisory, s’il vous plaît. En filigrane, les barbeaux et les kékés sont gentiment mis au pilori. Sans oublier le pied de nez, l’air de ne pas y toucher, aux poids-lourds de la punchline – désolé Booba, et Rohff rendez-vous chez les beaufs, vous faites juste pas le poids. Sur la lancée, J’ai l’honneur d’être est une fin de non recevoir sèchement troussée, à l’adresse des détracteurs anonymes et autres personnes mal intentionnées. Cela dit, après avoir réglé quelques comptes, rien n’empêchera Madame Fontaine de danser car un peu plus loin, finalement, J’aime envoie les vilains valser et la chanteuse déploie sa garde-robe sous nos yeux comme une garde rapprochée. Son art ressemble alors à une véritable fête où, sur un air de bastringue signé Areski Belkacem, Eros canaille et alcool malin convolent en folles noces dans le tourbillon des jours.
Madame Fontaine, s’il est désormais de notoriété publique que vous haïssez l’Orangina et l’affreux Coca-Cola, quant à nous, c’est simplement avec joie que nous venons boire de votre eau. Il est d’ailleurs tellement rafraîchissant de découvrir sur le tard, sans l’avoir vu venir, que Les hommes préfèrent les hommes. Car Brigitte nous l’avoue simplement, au détour d’une chanson, et nous offre au passage, par procuration, un coming out comme qui dirait, euh, général. Rapide et bien envoyé, à consommer sur place ou à emporter. Que voulez-vous, on a le coming out qu’on mérite. En l’occurrence, c’est violemment sociologique et c’est aussi simple qu’un refrain. À écouter sans modération.
Brigitte Fontaine – J’ai l’honneur d’être (Decca – Universal Music) – Dans les bacs
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