En 2011, le jeune producteur Aaron Jerome s’affirmait, après de nombreux E.P., au sein de la planète electro avec son premier opus éponyme, SBTRKT, succès à la fois critique et public. Trois années ont passé et la surprise du moment a fait peu à peu place à un doux et très bon souvenir mais important à nuancer. Ce LP inaugural avait surtout le mérite de faire découvrir un artiste talentueux de la scène électronique mais qui avait besoin d’encore un peu de temps pour le définir comme l’une des figures majeures du milieu. Malgré cela, on aura retenu quelques bombes comme son duo avec Jessie Ware, Right Thing To Do ou celui avec Little Dragon, Wildfire. Son retour en cette fin d’année était donc attendu pour savoir si le jeune homme allait passer le cap du premier album avec succès et nous livrer une œuvre de génie. Pour la confirmation c’est positif, moins pour le chef d’œuvre.
Ce Wonder Where We Land, même s’il présente une certaine évolution de la musique de l’artiste, moins portée par ses origines club et house que par son aspiration à mêler harmonieusement pop music, beats hip hop et electro, est finalement une sorte de jumeau de son prédécesseur. Une compilation de morceaux de qualité qui dépassent à quelques occasions ce cadre pour atteindre véritablement les cimes de la musique internationale. Sur les quinze titres que contient cet opus, la moitié sont des interludes sans réel intérêt, si ce n’est la belle composition d’ambient en featuring avec Koreless (le talentueux voisin de label auteur du planant E.P. Yuken l’année dernière) nommée Osea. Sur de lentes et mélancoliques nappes synthétiques s’accouplant littéralement pendant deux petites minutes, viennent s’ajouter des sonorités chaleureuses issues de la nature (le souffle du vent, le chant des oiseaux). Le reste est parfois trop anecdotique et minimaliste pour marquer (les inutiles Day 1 et Day 5), ou manque de consistance et aurait mérité de dépasser ce statut de morceau de transition pour transcender l’auditeur (Lantern et If It Happens).
Mais dans son autre versant, Wonder Where We Land est aussi rempli de compositions plus longues. Le minimalisme club du premier album semble avoir fuit l’esprit de Aaron Jerome pour laisser justement place à une musique plus fouilli où viennent s’entrechoquer plusieurs sonorités, instruments, univers au sein de chaque chanson. Le risque de cette entreprise, c’est de paraître surfait, surproduit pour donner l’illusion d’une musique complexe alors qu’il ne s’agit finalement que d’esbroufe, d’artifices irritant. Dans cette voie difficile dans laquelle s’est dirigé SBTRKT, il arrive donc que certains morceaux passent complètement à coté de l’effet escompté. Des morceaux à première vue potentiellement géniaux se vautrent complètement. On pense à un titre pourtant pas si mauvais, le featuring avec l’excellent A$ap Ferg, Voices In My Head, chanson qui traite donc de folie. On est d’abord surpris par sa nature, bien loin du hip hop, puis finalement déçu car on sent qu’il y a un réel décalage entre l’univers du rappeur et celui de l’artiste electro qui ne collent donc pas entre eux. À la place, on a le droit à une espèce d’entre-deux assez indigeste qui n’a ni queue ni tête. Les deux talents se court-circuitent, s’annihilent, s’auto-détruisent. Et finalement on se demande si toute la bonne volonté de l’auteur de faire évoluer sa musique vers quelque chose d’un peu plus varié n’est pas une immense erreur tant il arrive à ennuyer. Gon Stay, New Dorp. New York (avec Ezra Koenig de Vampire Weekend), Problem Solved (featuring un peu fade avec la pourtant splendide Jessie Ware), The Light, souffrent tous des même maux. Bien que détenteur d’une réelle recherche d’évolution musicale, ils n’arrivent pas à tenir la route dans leur entièreté et finissent pas lâcher l’auditeur.
Heureusement, quatre titres sortent du lot, et curieusement, deux d’entre eux sont comme des vestiges du passé que tentent de faire disparaître SBTRKT. À leur écoute, Higher et Temporary View auraient pu faire aisément partie de l’album éponyme. Ces morceaux sont empreints d’une atmosphère club particulièrement délicieuse et classieuse menée par un beat minimaliste à cheval entre le hip hop et la dubstep. De ce fait, impossible de ne pas bouger son corps à leur écoute. Sur Temporary View, on pense même à du Disclosure au ralenti. C’est le SBTRKT que l’on aime, moins aventureux certes, mais tellement plus efficace et marquant. Néanmoins, Wonder Where We Land et Look Away sont là pour nous contredire et nous laissent espérer un futur radieux pour Aaron Jerome. Le premier, en featuring avec son acolyte Sampha, est un morceau de R’n’B moderne qui dégage une ambiance incroyable. Sombre, anti-dansante au possible, on a l’impression d’accompagner le chanteur dans une ballade nocturne dans des lieux plus glauques les uns des autres. Le morceau est si maîtrisé que même l’incorporation de petits bruits qu’on croirait sorti d’un sample de R2D2 ne choque pas et le tout fonctionne à merveille. Look Away est quant à lui une magnifique surprise, un titre à la sensualité intense, et la voix de Caroline Polachek, leader du groupe pop new-yorkais Chairlift, n’y est pas pour rien. Mais il faut aussi jeter des lauriers à SBTRKT qui envoie un titre protéiforme, changeant de rythme quand bon lui semble tout en conservant une chaleur sensuelle inchangée sur tout sa durée.
Au final, Wonder Where We Land est un second album en demi teinte, où le très bon côtoie l’ennuyant. On ne pourra pas reprocher à Aaron Jerome de refuser de faire du surplace mais au contraire de tenter de faire évoluer sa musique. Néanmoins, il cède beaucoup trop souvent aux facilités de la surprodroduction clinquante pour réellement convaincre. On attendra donc le troisième round pour réellement s’extasier sur le talent du jeune producteur londonien.
Note: