Cet été, avec un visuel présentant en gros plan un œil transpercé par un ver blanc, The Strain – la nouvelle série de la chaîne américaine FX – avait réussi à repousser les plus sensibles tout en aiguisant leur curiosité. Suffisamment accrocheuse, elle en devient même convaincante lorsque l’on apprend que le producteur n’est autre que Guillermo Del Toro. Les fans du Labyrinthe de Pan ou Pacific Rim peuvent donc se réjouir, puisque nous avons à faire à un univers qui colle parfaitement à celui auquel nous a habitués le célèbre producteur – réalisateur – scénariste dans ce qu’il a fait de plus inquiétant. En effet, The Strain s’inscrit dans le registre du drame à sensations fortes.
Tiré du roman éponyme (La lignée en français) qu’il a lui même écrit avec Chuck Hogan en 2009, The Strain raconte l’histoire de Ephraim Goodweather, un épidémiologiste du CDC, le fameux centre de contrôle et de prévention des maladies devenu célèbre grâce à The Walking Dead. Ce dernier est en charge de sécuriser le périmètre d’un avion dont personne n’est descendu depuis son atterrissage à l’aéroport de New York alors qu’il était parti de Berlin avec à son bord 206 personnes. Ephraim, non sans convaincre les forces anti-terroriste, aura la charge d’élucider ce qui a bien pu se passer sur ce vol arrêté de façon étrange dans une zone hors du trafic, complètement froid et sans signe de vie à son bord. Avec son équipe, il constatera que tous les passagers sont morts dans le calme le plus absolu, probablement contaminés par un virus, à ce jour inconnu bien évidemment…
La diffusion de cette première saison aux Etats-Unis tout juste terminée, la chaine a pu constater que The Strain a rencontré son public. La série a d’ailleurs battu le record d’audience pour une première en approchant les 3 millions de téléspectateurs. Avec une moyenne de 2,2 millions et de très bonnes critiques presse outre-atlantique, FX a été convaincu de commander une deuxième saison.
Alors, si la ligne de départ fait largement penser à Fringe, dont le démarrage est quasi identique, son développement sera diamétralement opposé. Guillermo Del Toro, pour qui le projet tient particulièrement à cœur, a pris en charge la réalisation du premier épisode. Il avait déjà proposé ce projet il y a quelques années à FX, mais il semblait à l’époque trop risqué pour les financeurs.
Derrière la caméra, Del Toro s’emploie à faire de ce premier épisode, non pas un chef d’œuvre, mais plutôt une fondation solide qui permettra à la série d’avoir son ambiance, sa photo, son rythme et son identité. Le pilote n’est pas du genre à révolutionner le monde des séries ni même une démonstration de force à base de sueurs froides ou d’effets de style. Au premier abord, c’est une histoire somme toute banale avec des personnages on ne peut plus classiques : un héros particulièrement doué dans son domaine, un vieux fou qui en sait plus que tous les autres, un traitre qui culpabilise, un méchant ô combien cruel, bref tous les codes habituels. En sacrifiant plus ou moins le premier épisode, Del Toro assure la qualité et la montée en puissance de la série.
Et c’est plutôt un pari réussi. La première saison va suivre différents personnages à la façon d’une histoire à la Inarritu (21 grammes ou Babel) pour les réunir autour d’une cause commune : vaincre le virus… On touche alors à un point fort de la série puisque chaque élément de ce virus sera expliqué en détails, sans pour autant noyer les téléspectateurs dans du superflu, depuis les conditions de propagation, les évolutions des symptômes à la transformation concrète de la constitution humaine. L’essentiel est de rendre la chose crédible et c’est d’autant plus simple lorsqu’on a un épidémiologiste au cœur de l’histoire.
D’ailleurs Corey Stoll, qu’on avait déjà rencontré dans House Of Cards, parvient à s’imposer dans son rôle central, mais c’est vraiment David Bradley qui prend le plus de place. Campant un vieil arménien renfermé sur lui même, l’ancien concierge de Poudlard dans Harry Potter, emporte son petit monde dans une interprétation impeccable, au sein d’un casting des plus convaincants. De Kevin Durand, qui présente un très intéressant personnage nommé Fet, dératiseur de son état, à Richard Sammel en ancien nazi que l’on a du mal à dissocier de Christopher Waltz dans Inglourious Basterds, tous parviennent à nous faire croire en cette histoire extravagante.
Car on ne peut cacher plus longtemps que The Strain met en scène une invasion de « vampires ». Certains points convoquent l’imagerie de Dracula, permettant des moments stylistiques amusants comme les miroirs qui ne reflètent qu’une image tremblante des vampires. The Strain offre de nombreux moments d’intense angoisse dont l’effet ne manque jamais la cible. Un vrai régal pour qui aime ressentir la pression et on sait combien Del Toro maîtrise la chose.
Mais The Strain ne raconte pas seulement ce qu’on a toujours voulu savoir dans The Walking Dead – c’est à dire les origines de la catastrophe – car c’est avant tout une série basée sur les relations humaines. La série permet les traditionnels regroupements contre l’adversité, mais dans cette lutte contre le mal, les méchants mettent très en avant les points faibles d’une société bien trop dépendante de sa technologie et du pouvoir financier. Une critique sans doute évidente mais qui tient malheureusement bien la route. En filigrane, on voit également percer une critique de l’accomplissement personnel au dépend de son entourage. C’est évidemment vrai pour Eph, mais tout autant pour Setrakian, le vieillissant Palmer, la hackeuse Dutch Velders, ou pour le personnage du père de Vasiliy Fet.
La principale qualité de The Strain est de présenter un scénario parfaitement ficelé. Chaque épisode contient son lot d’éléments qui de premier abord semblent être des détails – Eichorst qui baisse systématiquement la lumière en entrant chez Palmer, l’éclipse, les mains meurtries de Setrakian – mais qui prendront plus tard d’autant plus de valeur. On comprend leur signification et les décisions des protagonistes sans ce que cela ne soit trop explicite. Des mystères et du suspense, il y en a un peu partout dans la série et les réponses finissent toujours par arriver, contrairement à d’autres séries où elles tardent à venir.
Les premiers épisodes s’attacheront à montrer l’évolution et la propagation du virus, sa dangerosité et comment tout a été planifié pour réunir l’ensemble des conditions lui permettant de s’étendre le plus vite. Une partie rondement menée, avec une rythmique parfois ronronnante mais jamais avare de sensations fortes. Puis vient le temps de la réunification des héros, un peu par hasard, telle La communauté de l’anneau, où l’on retrouve d’ailleurs ce bon vieux Sam Gamgee ! Un épisode fort en tension lorsque le groupe est piégé dans une station essence et où l’on se rend compte que le virus en question et surtout ces vampires sont bien plus dangereux que ne peuvent l’être ceux de Walking Dead. La série passe un cap en entrant pleinement dans l’histoire, plongeant dans les méandres des flashbacks, ici plutôt bien tournés quoique parfois un peu longs, mais là-encore, la crédibilité et l’explication prennent le pas. Cela n’en reste pas moins un passage des plus intéressants car il motive le lien très intime entre les deux ennemis historiques que sont Eichorst et Setrakian et ancre un peu plus l’histoire dans une réalité.
En conclusion, tout semble logique dans The Strain alors que l’histoire est a priori assez improbable. On se demande comment tout cela va bien pouvoir tourner et on s’attache aux personnages grâce à des histoires personnelles suffisamment creusées pour nous permettre de nous reconnaitre sans pour autant y passer des heures et nous sortir de l’histoire principale. La série mélange les moments d’angoisse avec des moments de réflexions sans oublier de-ci de-là quelque trace de légèreté et la recette fonctionne vraiment.
Note: