Tout juste auréolé d’un prix de la mise en scène à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, Matt Ross livre, avec Captain Fantastic, une fable utopique et généreuse, éprise de liberté, parfois un peu trop appuyée.
Le film s’ouvre sur un panoramique arrière en survol d’une nature majestueuse, préservée et infinie avant de plonger à pic dans les entrailles d’une forêt profonde.
Ce mouvement ample prend à rebours les habitudes de cinéma, dont la plus célèbre reste le panorama-avant en ouverture de Shining.
Le mouvement arrière est une invitation à l’utopie, un retour aux sources des plus organiques.
Dans cette forêt irréelle et silencieuse où glaciers et falaises escarpées se côtoient, on fait la rencontre d’un daim dont on observe les mouvements agiles jusqu’au jaillissement soudain d’un jeune garçon grimé des couleurs de la forêt qui va le tuer sauvagement et cliniquement.
Ce jeune garçon, c’est le fils aîné de Ben (Viggo Mortensen), père d’une tribu de six enfants.
Ben et sa famille habitent cette forêt et ont mis en place une organisation qui leur permet de s’auto-suffire. On y chasse beaucoup, discute allègrement arts et philosophie, joue de la musique, parle sept langues, que l’on ait six, douze, dix-huit ou cinquante ans.
On y fête aussi le « Chomsky day » (philosophe et linguiste américain), en lieu et place du « Christmas day ».
Finalement le passage à l’âge adulte ne se réalise que par les actions que l’on mène. Celles qui forgent l’expérience, l’esprit critique et qui rendent un homme libre.
C’est tout l’enjeu du film. S’affranchir du cadre social établi, des dogmes religieux, de la pensée universelle pour croire en l’intelligence, aux émotions et donner de la substance à sa vie.
L’intelligence et la liberté sont présentées comme les grandes utopies d’un monde en perpétuelle accélération.
La première partie du film est formidable, car elle présente cette petite communauté avec une bienveillance certaine et beaucoup d’humour. Le rythme est fluide et les moments de comédie vraiment réussis. Le charme opère immédiatement et l’on se sent bien avec cette famille insolite.
Elle pose aussi des questions d’ordre moral avec beaucoup de subtilité. Un père peut-il décider du sens à donner à la vie de ces enfants même pour de nobles engagements ? Une démocratie finalement autoritaire, pour ne pas dire tyrannique est-elle cohérente avec les préceptes de liberté et d’esprit critique ?
C’est toute l’ambiguïté de ce père, philosophe, despote, mais terriblement humain. Il a théoriquement raison de préserver ses enfants d’un monde qui ne tourne plus très rond. Mais en a-t-il le droit ?
Et puis un événement se passe, un événement tragique qui va faire se percuter l’utopie au réel.
On comprend en effet que l’absence de mère n’était que momentanée. Celle-ci est gravement malade et vit ses dernières heures dans un hôpital loin de la forêt, au cœur de la ville.
Alors que la mort surgit, la petite famille décide de parcourir la route pour aller la voir une dernière fois et respecter les écrits de son testament.
La seconde partie du film est moins réussie, car elle surligne les confrontations comme pour enfoncer le clou.
Confrontations entre une belle famille très riche qui n’accepte pas la vie de Ben ni de ses enfants ou entre une jeune adolescente bien dans son âge et le fils aîné de la tribu. Les rencontres sont systématiquement décalées, que cela soit avec des policiers ou au sein d’un centre commercial avec le personnel du magasin.
Ces scènes frisent parfois la caricature et perdent en nuance.
Reste l’épilogue, d’une grande puissance émotionnelle qui rebat les cartes de cette utopie tout en la rendant possible.
Et puis retrouver Viggo Mortensen dans ce rôle est très beau, car le film peut aussi se lire comme le biopic fantasmé de l’acteur, lui aussi philosophe, peintre, musicien et photographe, homme engagé parlant trois langues et vivant une partie de son temps en Argentine.
Captain Fantastic, c’est résolument Viggo Mortensen.
Note: