Réunir le gratin mondial de la musique Ambient, c’était une superbe idée. Les faire jouer un concert intimiste dans un lieu privilégié et mystérieux comme les sous-sols du Palais de Tokyo, cela tient au génie. Le Festival Pleine Conscience, le bien-nommé, fut l’événement de la rentrée pour tout féru de musique planante et alternative et l’une des rares fois où il aura été possible d’assister à une soirée regroupant Midori Takada, Gas, Prurient et Tim Hecker. Soit quatre monstres du genre conceptualiser malgré lui par Brian Eno dans les années 1970, accompagnés de la prometteuse Pan Daijing.
Dans un décor urbain, de vide et de bitume froid, résonnèrent des mantras des plus hypnotiques : écorchés (Prurient), bruitistes (Pan Daijing), hallucinogènes (Gas), contemplatifs (Midori Takada) ou bien tous à la fois (Tim Hecker, en clou du spectacle dans la nuit parisienne). Six heures durant, les spectateurs furent plongés dans une transe onirique, entre légers headbanging, corps zombifiées et esprits voyageurs. Il y en aura eu pour tous les goûts et chaque set fut rondement mené, emmenant le public dans l’univers propre à chaque artiste.
Dominick Fernow fut comme un poisson dans l’eau avec sa noise des bas fonds new-yorkais, que les visuels hivernaux du show illustraient parfaitement. Comme si le monde de Prurient ne faisait qu’un avec les sous-sols du Palais de Tokyo. Les cris étouffés du chanteur, qui jouait en grande partie des titres de son dernier chef-d’œuvre, Frozen Niagara Falls, infiltrèrent chaque recoin de cet endroit despotique. Un set d’autant plus magnifique qu’il fut contrebalancé l’instant d’après par le calme nippon et l’art du silence de l’immense Midori Takada. Seule, entourée d’énormes instruments à percussions, qu’on pourrait voir comme des reliques ancestrales, elle envoûta une audience qui n’esquissa aucun bruit. Merveilleux moment de sidération collectif devant un talent énorme qui, malgré le lieu, fut propice à l’émanation d’images mentales dignes des peintures du Douanier Rousseau qu’affectionne tant Takada.
Wolfgang Voigt est un maître du minimalisme – c’est d’ailleurs l’une des figures de lance de la Minimal et de la Techno berlinoise – auquel il sait donner des effets maximalistes. Les trips sous LSD qui inspirent la musique unique de Gas semblaient pénétrer toute la salle pendant son live. Le Palais de Tokyo, Paris, la métropole, tout s’évanouissait. À la place, on avait l’impression d’assister à une rave démente au plus profond de la Forêt Noire germanique. Gas n’offrit certes que des titres de son dernier bijou, NARKOPOP, mais difficile de lui en demander plus, tant tout fut d’une cohérence ahurissante, pur moment charnel et évasif où les morceaux s’imbriquaient les uns des autres et emportaient le public avec eux.
Comme mentionné plus haut, le concert de Tim Hecker fut effectivement la grande claque du Festival Pleine Conscience. On connaissait le talent incommensurable du Canadien, auteur de certains des plus beaux opus Ambient des années 2000 : Radio Amor, Harmony in Ultraviolet, Ravedeath 1972, Virgins. Une musique semblable à un magma bouillonnant mi-électrique mi-électronique, faiseuse d’ambiances singulières et cinématographiques ringardisant la quasi-intégralité des bandes originales les plus plébiscitées. Son précédent album, Love Streams, avait certes déçu, mais il y avait de l’excitation dans l’idée de voir sa transposition sur scène, car l’œuvre ouvrait l’art de Tim Hecker à quelque chose de plus normé et de moins atonale. La scénographie crépusculaire (beaucoup de machines, faux brouillard, jeu de lumière organique) en mit certes pleins les yeux mais fut surtout un moyen de condenser la singularité de Tim Hecker en quelques effets. Love Streams et Virgins furent particulièrement mis à l’honneur, et les chansons se révélèrent beaucoup plus électriques que sur enregistrement studio. Une façon aussi de sonner plus « live », surtout plus vivant et palpable. Jusqu’à ce final rallongé de près de quinze minutes sur Virginal II. Magique.
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