En vacance de la trilogie Tanhauser (La Religion, Douze enfants de Paris), Tim Willocks troque le récit épique et la fresque historique pour le roman noir hard-boiled. La mort selon Turner est un polar nerveux et tendu comme un arc, sous l’influence du western avec comme décor le désert d’Afrique du Sud. Tous les codes sont respectés : le justicier qui débarque dans une ville hostile pour arrêter le fils de la riche patronne de la mine locale, des autochtones hostiles, des gunfights que n’auraient pas dénigrés Sam Peckinpah ou Michael Mann… Mais comme d’habitude, Tim Willocks évite tout manichéisme dans la caractérisation des personnages, fait preuve d’un sens de la narration qui mêle les questionnements moraux, sociaux et les éclairs de violence extrême (il faut avoir le cœur bien accroché…) et manifeste une finesse d’observation de l’âme humaine dans toutes ses contradictions et sa complexité.
Versatile Mag : Quel est le point de départ que vous avez en tête lorsque vous décidez d’écrire un nouveau roman ?
Tim Willocks : C’est très variable. Parfois ça peut être un personnage, une image, une idée générale ou juste le titre. Pour La mort selon Turner, j’avais envie d’écrire un western ou un étranger débarque en ville et provoque le chaos. J’aime écrire des drames moraux et l’Afrique du Sud offrait le paysage où pouvaient se déployer les événements tragiques et violents qui se déroulent dans le livre.
J’avais aussi l’idée d’un « petit » crime qui allait déclencher une série d’événements dramatiques. La jeune fille noire qui meurt au début dans le bidonville représente en quelque sorte les milliers de pauvres qui sont sacrifiés chaque jour au nom de l’économie et de la politique, dont on ne soucie guère. On pourrait empêcher toutes ces morts en y consacrant une petite partie de l’argent dépensé dans les armes mais on ne le fait pas car ces gens meurent loin de chez nous, ça ne perturbe pas notre conscience.
Turner, lui, pense que la mort de cette jeune fille mérite que justice soit faite. C’est une idée intéressante et profonde qui a parcouru toutes les époques et toutes les cultures, que soit rendue la justice d’une personne morte. La mort selon Turner contient beaucoup de contradictions morales liées au prix à payer pour que la justice soit rendue. Turner est un détective intègre, qui refuse la corruption, avec une grande force. Il pense faire le bien mais ses choix produisent un véritable désastre.
Vous parliez du western, y-a-t-il un plaisir particulier à jouer avec les codes de ce genre ?
Oui, le western produit des images très fortes qui illustrent le combat de la civilisation et de la sauvagerie. J’aimerais écrire un vrai western mais malheureusement, plus personne n’en lit. Il y a des éléments dans mon livre qui reprennent des idées d’Impitoyable et de L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood. J’avais aussi en tête comme une référence Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Sam Peckinpah. Mes précédents livres étaient assez épiques dans le style et j’avais envie avec ce roman d’écrire dans un style noir plus moderne.
Quand on s’était rencontrés à la sortie de Doglands, vous disiez avoir accepté ce roman car vous étiez en panne dans l’écriture de Douze enfants de Paris. Avec La mort selon Turner, est-ce que vous aviez aussi besoin de changer d’univers avant de revenir à la Trilogie Tanhauser ?
Oui, j’avais besoin de faire une pause avec le XVIè siècle. Je travaille actuellement au troisième volet de la trilogie Tanhauser. Pour moi, le plus difficile quand j’écris, c’est de trouver une bonne idée d’histoire. C’est comme de dénicher un diamant. Mon prochain roman aura comme toile de fond la chasse aux sorcières. Aujourd’hui, même si on ne croit plus à la sorcellerie, les peurs demeurent toujours aussi irrationnelles – regardez les Anglais qui ont voté le Brexit ! – et on a toujours besoin de boucs émissaires. Il y a toujours beaucoup de haine dans l’atmosphère,quand on lit les commentaires sur les sites d’actualité et sur les réseaux sociaux. L’internet n’a pas réalisé le rêve d’une communication plus heureuse, c’est tout le contraire.
Dans vos livres, les scènes de violence sont toujours très détaillées d’un point de vue anatomique. Vous décrivez très précisément les effets d’une blessure sur le corps humain. Pourquoi ?
C’est la façon dont je me représente ce genre de scène . C’est sans doute lié au métier de médecin que j’ai exercé pendant des années. Je pense aussi que notre fascination pour la violence est liée à la peur qu’elle nous inspire. Pour moi, il faut envisager les conséquences physiques de la violence sans la considérer uniquement sous son aspect spectaculaire et de divertissement.
Dans le livre, tous les personnages ont leurs raisons d’agir, bonnes ou mauvaises. Est-ce que vous avez besoin d’éprouver de l’empathie pour tous vos personnages pour écrire sur eux ?
Un jour, on a demandé à Lee Marvin comment il faisait pour être si bon pour jouer les méchants dans ses films. Il a répondu que quand il les joue, de son point de vue à lui, ce ne sont pas des rôles de méchant. J’ai beaucoup aimé écrire le personnage de Margot Le Roux. En écrivant l’histoire, je me suis aperçu que le héros n’était pas Turner, qui vient pour arrêter des criminels, mais bien Margot, une mère qui fait tout pour protéger son fils quand un flic débarque en ville pour l’arrêter. C’est subtil en termes de structure narrative mais cela permet aussi de préserver le côté énigmatique de Turner, ce qui est plus difficile à faire dans un roman – où l’on doit entrer dans les pensées des protagonistes – que dans un film. Regardez Clint Eastwood dans ses westerns, ou Charles Bronson dans Il était une fois dans l’ouest, vous n’avez aucune idée de ce qui leur passe par la tête, ils ne disent rien, pourtant ils ont un côté magnétique qui est permis par le cinéma. Je voulais avoir cette saveur-là dans mon livre.
Hormis le western, qu’est-ce qui vous a influencé dans l’écriture de La mort selon Turner ?
Vous savez, Gore Vidal a dit que pour connaître les influences qui ont inspiré un écrivain, il faut lui demander quels étaient les films qu’il aimait quand il avait quatorze ans. C’est aussi vrai pour moi. Il faut admettre que cela fait partie de notre culture et de nos vies, comme la musique. En fait, le titre Memo from Turner est inspiré d’une chanson de Mick Jagger et Keith Richards, dans le film Performance. J’aime ce titre qui contient une grande part de mystère. Je me suis souvent demandé ce que contenait ce mémo, sa signification. Cette idée de dicter un mémo sur son téléphone est aussi reliée à un autre film, Assurance sur la mort, de Billy Wilder, écrit par Raymond Chandler. Le film commence avec une scène où un homme enregistre ses confessions, il annonce toute l’histoire du film dans les trois premières minutes – I killed Dietrichson, I killed him for money and for a woman. And i didn’t get the money and I didn’t get the woman… – alors que normalement, vous réservez les surprises pour la fin. Le début du roman est un hommage à cette scène.
Merci à Muriel Poletti-Arlès pour avoir permis cette interview
La mort selon Turner, éditions Sonatine
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