L’étrange créature du lac noir convoque instantanément le souvenir de sa première diffusion en 3D à la télévision française, dans le cadre de La dernière séance, programme du mardi soir animé par Eddy Mitchell. C’était le 19 octobre 1982, très précisément, un véritable événement cathodique. On se souvient de l’excitation à se procurer le Télé 7 Jours chez son buraliste, dans lequel étaient fournies les fameuses lunettes bleu et rouge. L’expérience du relief, pourtant décrite comme un événement technique, s’avérera en définitive décevante, ne procurant pas la sensation de trois dimensions attendue mais ramenant simplement les différents niveaux d’information du cadre sur un même plan. On se dit en souriant aujourd’hui qu’avec les moyens matériels de l’époque, il ne fallait pas s’attendre à d’avantage. Le film refait l’actualité ces temps-ci avec le centenaire de Universal et l’édition d’un gros coffret consacré aux monstres du studio (Dracula, La momie, Frankenstein, L’homme invisible…) et une reprise en salles.
C’est ainsi l’occasion de se convaincre que L’étrange créature du lac noir, malgré ses presque soixante ans, vaut largement plus que la moyenne des séries B ou Z au charme suranné dont le kitsch fait sourire en coin. Le film surprend au contraire et affiche de belles prouesses pour l’époque, à commencer par ses plans aquatiques. La caméra sous-marine immerge littéralement le spectateur dans les profondeurs du lac d’où le danger peut surgir de n’importe où dans le cadre. Jack Arnold utilise habilement la surface de l’eau pour créer la tension. Il anticipe d’ailleurs avec deux décennies d’avance Spielberg et Les dents de la mer avec ses baigneurs filmés en contre-plongée. C’est d’autant plus étonnant que le costume de la bête, loin d’être ridicule avec son système de branchies dynamiques, supporte parfaitement d’être plongé intégralement sous l’eau et offre une belle mobilité à la créature.
L’étrange créature du lac noir n’est pas non plus en retard sur la représentation de son personnage féminin, une scientifique loin d’être caractérisée comme la potiche de service dont l’unique rôle serait d’hurler au moindre danger. Ce qui surprend au contraire, c’est l’érotisme (non sommes en 1955, hein!) sous-jacent des scènes de baignade où la belle nage librement en petite tenue. Ce qui ne laisse pas indifférent la créature visiblement sensible aux charmes de la demoiselle, qui introduit une relation du type la belle et la bête qu’on retrouve aussi dans une pellicule comme King-Kong. L’étrange créature du lac noir partage d’ailleurs avec ce dernier ce mélange de film d’aventures d’exploration et d’horreur. Jack Arnold est aussi à l’aise dans les scènes de tension que dans la reconstitution de la jungle amazonienne. Non, impossible d’être cynique à la vue de ce classique du cinéma fantastique des années 50, qu’il faut redécouvrir absolument.
L’étrange créature du lac noir, actuellement en salles
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