Ou comment réussir sans âme
Endossant pour la quatrième et – le prétend-t-il – dernière fois le costume de James Bond, ce bon vieux Daniel Craig, tenant plus de la rudesse du plombier polonais que du flegme quasi-british d’un Pierce Brosnan, tente – luttant contre l’organisation Spectre – de se rapprocher du succès de Skyfall afin peut-être de continuer à nous faire oublier plus avant les désastreux Casino Royale et Quantum of Solace. Disons-le tout de suite, d’un point de vue purement commercial, Spectre s’impose d’entrée aux Etats-Unis comme le deuxième meilleur démarrage d’un épisode de la saga 007, directement derrière son prédécesseur . Mais, si son contrat s’avère rempli de ce point de vue, en est-il de même sous un angle plus cinématographique ?
Rutilante mécanique, à l’instar des épisodes mettant en scène ses dernières aventures, ce James Bond ne manque pas d’offrir au public le spectacle qu’il attend. Aussi s’impose-t-il, à grands renforts d’effets numériques et de moyens estimés à près de 350 millions de dollars, comme le « standard 2015 » du film d’action. Toutefois ne faudrait-il pas nier le talent de son réalisateur, Sam Mendes, pour la qualité de ses cadres et de ses mises en scène aux fréquentes inspirations vidéoludiques dont nous retiendrons notamment un magnifique plan-séquence introductif, filature entre vie et mort. Usant de lumières chaudes et de filtres jaunes qui confèrent à chaque tableau vivant que constituent ses plans les clinquantes apparences de l’or, le cinéaste se présente en méticuleux orfèvre.
Et pourtant, si le spectacle régale et enchante, son cruel manque d’enjeux narratifs – tant ses personnages à caractère purement iconique ne peuvent incarner la moindre vie en lieu et place de mystère – impose de ne l’observer que sous les traits de bien longs – mais hautement réussis et divertissants – spots publicitaires destinés à promouvoir, en vrac : Aston Martin, Omega et Martini… Au-delà et avec un tel budget, les impératifs de production consistant à ne rater aucun passage obligé de le saga mythique nous imposent de revoir un film que nous avions déjà vu maintes fois et ne cesserons de revoir : James se battant dans un hélicoptère, James rattrapant son ennemi en bateau, James pris en chasse au volant d’un bolide, James et les gunfights, James et les fistfights, James : les parachutes et les avions, James et la montre qui fait « boum », James et ses deux nénettes, James dans des lieux coupés du monde, James au MI6, James au ski, James et la bombe à désamorcer, … Cette compilation très « martinienne » et ce refus de faire des choix, semblable à l’appétit vorace d’un jeune romancier qui voudrait tout dire dès sa première œuvre, incite à penser la saga comme la répétition – presque autiste – d’un film que ses réalisateurs ne cesseraient d’essayer de parfaire de cru en cru, au fi de toute possibilité d’imagination.
Un pari formellement réussi, sans doute nécessaire en tant que performance, mais dont le peu d’audace empêchera tout frisson et ne laissera que peu d’écho en sortie de séance. Il y a trois ans, pourtant, mourrait M, chantait Adèle et voyait bruler la maison d’enfance de James. Un virage pour 007 ? Un détour, seulement, peu importe l’or pavant sa route…
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