Avec « En attendant les hirondelles », Karim Moussaoui se pose en chef de file de la nouvelle génération du cinéma algérien et offre un film puissamment contemporain.
Sur le modèle du cadavre exquis des surréalistes, Karim Moussaoui dresse le portrait de l’Algérie d’aujourd’hui au travers de trois histoires reliées entre elles.
« L’Algérie attend toujours » semble nous dire le cinéaste sous les cordes du « Ich habe genug » de Jean-Sébastien Bach qui résonne entre combat et résignation d’une jeunesse algérienne asphyxiée.
Les printemps arabes ont bien eu lieu au début des années 2010, d’ailleurs initiés par les sit-in d’Alger largement réprimés. Mais l’expression de ce besoin profond de démocratie, de libertés publique et individuelle est rapidement devenue aphone en Algérie pour trouver un écho plus profond en Tunisie et en Egypte jusqu’à provoquer la chute des régimes.
Karim Moussaoui s’attache aux symptômes de la paralysie et nous invite à un voyage sociétal et politique au cœur d’un pays en ébullition encore soumis aux plaies pas tout à fait cicatrisées de son passé.
Le premier segment instruit les difficultés d’un couple de quinquagénaires bourgeois et divorcés vivant à Alger en prise avec leur fils décidé à arrêter ses études de médecine pour vivre l’insouciance du passage à l’âge adulte. Elle, se sent autant démunie devant son fils que perturbée par les affres de l’actualité politique. Lui, se démène pour recoller les morceaux d’une famille qui périclite tout en essayant de se sortir d’une sombre affaire de passage à tabac dont il se sent coupable par lâcheté.
Dans son second segment, le film nous emmène sur les routes du sud à bord d’une voiture aux côtés de deux jeunes amoureux et des parents de la jeune femme ignorant tout de la situation. Elle doit se marier avec un autre homme pour répondre aux invectives traditionnalistes du patriarcat.
Enfin, le troisième segment nous confronte à un médecin, la veille de son mariage, accusé d’avoir eu un enfant qu’il n’a pas reconnu avec une femme enfermée et violée par la junte islamiste au pouvoir dans les années 1990.
Violence du pouvoir, corruption généralisée, société traditionnaliste, l’œil de Karim Moussaoui scrute avec une précision inouïe les stigmates de la désillusion et l’aveuglement d’une société faite d’accommodement et de privilèges.
Le scénario du film ne laisse rien au hasard. L’écriture est limpide et les passages de témoins entre les personnages des différentes histoires ne s’embarrassent jamais de la lourdeur du film choral. Le cinéaste dissipe des motifs comme autant de métaphores du mal qui ronge la société algérienne. La cataracte d’un des protagonistes souligne l’aveuglement généralisé de la société et les cris effroyables de l’enfant illégitime souillé par la précarité en disent long sur la désintégration de la jeunesse du pays.
Mais là où le film de Karim Moussaoui prend toute sa dimension, c’est lorsqu’il s’écarte des chemins balisés du scénario pour prendre des bifurcations de cinéma fulgurantes.
Certaines scènes d’une beauté foudroyante viennent lacérer le fil programmatique de l’histoire et font exploser le canevas scénaristique.
Par certains aspects, le film n’est pas sans nous rappeler la liberté formelle d’Intervention divine d’Elia Suleiman. Comme lui, Karim Moussaoui s’autorise des implants vertigineux comme ces scènes de danse au milieu du désert ou dans une boite de nuit d’hôtel vidée de sa clientèle, ces long plans séquences sur les routes chaotiques et sublimées qui lient le nord au sud du pays ou ces rencontres anodines mais primordiales au détour d’un restaurant d’autoroute ou d’une balade dans les montagnes algériennes.
Le film, à l’image du Paris Texas de Wim Wenders, est aussi un voyage topographique dans lequel la ville, la route, les intérieurs et les grands espaces donnent la couleur et le rythme de l’histoire. Cet attachement aux lieux rend tout aussi bien compte que les personnages de l’Algérie contemporaine comme un portrait grandeur nature et chaotique.
C’est cette équation fragile entre un regard sans compromis, un sens aigu de l’écriture et de la mise en scène et des saillies poétiques et oniriques qui fait du film de Karim Moussaoui une indéniable réussite.
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