Sur Spellbound, le dernier album sorti il y a quelques mois, Jay Jay Johanson se fend d’un second disque bonus où il reprend douze de ses plus grands classiques dans une formule réarrangée piano/ voix absolument somptueuse. Puisque la volonté est manifestement rétrospective et compilatoire, on réécoute des titres comme The girl I love is gone, Far away, Tomorrow ou She’s mine but I’m not hers en repassant le film de sa discographie qui, mine de rien, a déjà quinze ans.
Quand débarque Whiskey, son premier album, en 1996, nous sommes en pleine vague trip hop : Portishead a révolutionné le genre avec Dummy (1994), mélange d’influences jazz, d’electro, de séquenceurs et de samples de vieux vinyles qui scratchent et grésillent. Sombre, mélancolique et très cinématographique, la musique de Portishead a ouvert la voie à toute une descendance plus ou moins inspirée, de Goldfrapp à notre fameux Suédois à la voix androgyne. Si la gémellité avec le son et avec l’iconographie de Portishead ne peut pas être démentie, Jay Jay Johanson se démarque des suivistes de par ce côté jazzy un peu fleur bleue qui tranche sérieusement avec la noirceur de ses textes.
La décennie suivante est un peu plus aléatoire, entre electro pop hors de propos et easy listening, à la limite de la musique d’ascenseur. Jay Jay Johanson, comme tous les grands artistes, se situe précisément à la frontière, entre talent et mauvais goût. Un indice : ses nombreux changements capillaires qui atteignent des sommets grotesques avec la crête à l’iroquois de la période Antenna. Il faut bien avouer qu’on avait un peu oublié Jay Jay Johanson ces dernières années… Il s’était sans doute un peu oublié aussi, se cherchant, expérimentant différents styles, sans trouver l’inspiration des débuts.
«La dernière fois que je suis venu à Toulouse, c’était il y a onze ans. S’il vous plaît, n’attendez pas aussi longtemps pour m’inviter à nouveau !». Tiens, le bikini aussi a fait l’impasse sur la décennie passée de Jay Jay Johanson ? Spellbound renoue heureusement avec ce qu’on aime du chanteur, le crossover entre Burt Baccarach, Scott Walker et Chet Baker, les arrangements réduits à leur minimum qui rendent ses mélodies encore plus belles, délicates et frêles, à l’image de cette grande tige de près de deux mètres. Pour respecter l’esprit de l’album, ils ne sont que deux sur scène, le chanteur et son pianiste qui joue aussi des claviers et lance des boucles sur son Mac.
Preuve que Jay Jay Johanson est revenu au mieux de sa forme : les nouveaux titres n’ont pas à rougir des anciens. Dilemna côtoie donc sans complexe So tell the girls that I’m back in town et renoue ainsi avec les qualités de song writing de l’auteur-compositeur, comme Suicide is Painless sur lequel plane l’ombre de la mort, omniprésente sur la totalité de l’album. La complicité entre les deux musiciens se pose en évidence. La complémentarité entre les beats synthétiques, la beauté de la sonorité du piano et l’élégance de la voix font des merveilles. On se croirait à une soirée de retrouvailles avec un vieil ami perdu de vue depuis un long moment, mais avec qui on se sent spontanément bien, comme si on ne s’était jamais quittés.
A la fin du set, il se produit une scène déjà vécue au concert de Portishead de Nîmes, cet été : le chanteur, tout sourire, serre longuement les mains des premiers rangs, savourant visiblement le moment, heureux de retrouver son public. Quand il quitte la scène, les techniciens préparent les instruments de Syd Matters qui joue juste après, mais on ne reste pas. Le concert de Jay Jay Johanson suffit à notre bonheur.
Crédit Photo : Stéphane Despax (tous droits réservés)
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