La question qui nous taraude avant le concert ce soir au bikini est la suivante : en quoi Patti Smith est-elle pertinente musicalement, en 2011 ? Issue du mouvement punk, activiste militante dans les années 70, reconvertie à la photographie et aux lectures des poèmes d’Arthur Rimbaud ou d’Allan Ginsberg, a-t-elle encore la foi sur scène, le feu sacré ? Qu’est-ce qui l’anime pour jouer des titres qui ont pour la plupart trente ans, dont on se demande s’ils ont conservé leur force contestataire de l’époque ? Car en y réfléchissant bien, si la descendance de Patti Smith est assurée – elle a ouvert la voix à bon nombre de rockeuses qui s’en sont inspirées – aucune n’incarne aussi bien la figure de la protestation politique.
On pense bien sûr à PJ Harvey comme à une héritière potentielle. Mais si son dernier album, Let England Shake est un portrait sans concession de son pays, c’est en historienne qu’elle dresse ce portrait, à travers le passé guerrier et colonialiste de l’Angleterre. Évidemment, on trouvera des concordances avec l’époque contemporaine dans ce disque, comme l’engagement militaire derrière la grande sœur Américaine, mais on ne peut pas affirmer qu’elle aborde frontalement les grands sujets politiques ou économiques de notre temps.
Pourtant l’actualité aurait besoin de ces protest singers qui vont au charbon, mouillent leur chemise pour se faire les porte-paroles de ces mouvements pacifistes qui s’élèvent un peu partout face aux régimes totalitaires, au contexte actuel de crise financière globale et d’échec du modèle capitaliste mondial. Du Printemps Arabe aux Indignés de la plaza Cataluña à Barcelone, en passant par Occupy Wall Street, c’est le début d’une révolution populaire qui se met en marche, articulé autour des réseaux sociaux comme mode de communication et d’information, mais à laquelle il manque une voix forte et charismatique pour porter les messages.
Et si Patti Smith incarnait encore en 2011, à l’âge de 65 ans, cette figure charismatique et emblématique qui transmet aux jeunes générations le message de la lutte et de la révolte ? C’est la réflexion que l’on se fait en observant le public réuni au Bikini. On y croise une population qui mélange ceux qui ont connu les années 70 et viennent retrouver les émotions de cette époque, mais aussi beaucoup de jeunes qui disent avoir connu Patti Smith grâce à leurs parents. On croise un groupe de jeunes adolescentes surexcitées de voir la chanteuse en vraie, qui hurlent en cœur «People have the power» et s’extasient : «quelle classe ! », pleines d’admiration.
Il faut dire que la connexion entre Patti Smith et son public saute aux yeux. Quand elle monte sur la scène du Bikini, c’est sans artifices, naturelle. Elle plaisante avec les spectateurs, harangue les jeunes générations d’un «You’re the future, and the future is…NOW !». On assiste à une forme de communion très sincère entre un artiste et son public. Aux côtés de son fidèle guitariste Lenny Kaye, Patti Smith revisite ses grands classiques et reprend Neil Young. Des titres comme Free money ou People have the power trouvent un écho auprès du public tant ils semblent être d’actualité. Le set suit une courbe ascensionnelle, avec un dernier tiers qui enchaîne Because the night, Pissing in the river, Peacable Kingdom et Gloria en forme d’apothéose attendue.
Lorsqu’elle revient pour un rappel avec Frederick sur le mode du «spoken word», d’une intensité folle, on regrette qu’elle n’ait pas alterné durant le concert davantage entre ses classiques et des moments de lecture tant sa voix, dans ces instants parlés, récités comme des mantras est d’une force peu commune. Mais à un tel degré de générosité et d’énergie, on ne boude pas notre plaisir, et c’est sous une ovation que Patti Smith quitte logiquement la scène du bikini, après avoir arraché à la main les cordes de sa guitare, une à une. Respect !
Crédit photo : Frédéric Rackay (tous droits réservés)
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