The Normal Heart, avant d’être un téléfilm produit pour HBO, fut une pièce de théâtre écrite par Larry Kramer, et qui relate les débuts des ravages du Sida, ainsi que l’organisation des premiers mouvements pour le combattre. Kramer a repris la pièce et l’a adaptée pour l’écran, avec Ryan Murphy (Nip/Tuck, Glee) à la réalisation. Kramer a mis son double de fiction au cœur de l’intrigue : il se nomme Ned Weeks, c’est un écrivain ouvertement gay, qui va s’engager corps et âme dans la lutte contre ce que beaucoup appelaient alors le « cancer des homos ». The Normal Heart raconte les difficultés au temps de l’Amérique reaganienne pour obtenir des soins, le refus du gouvernement de financer les recherches contre le virus, ainsi que la création de l’association Gay Men’s Health Crisis.
Au fil d’un récit mené tambour battant pendant plus de deux heures, rien ne sera occulté des dissensions internes à la lutte, des chocs entre les egos des uns et des autres, ni de l’aveuglement dans un premier temps de beaucoup d’homosexuels qui préféraient courir le risque de contracter le virus plutôt que de renoncer à un mode de vie autorisant de nombreux rapports sexuels avec des partenaires multiples, acquis au prix cher d’années de militantisme pour obtenir un minimum de reconnaissance.
Les écueils dans lesquels le film risquait de tomber ne manquaient pas, mais Ryan Murphy a livré, au final, une réalisation de bonne tenue. La fresque comporte de nombreux personnages et il fallait réussir à représenter la diversité des opinions quant aux modalités de l’engagement. Dans le rôle de Weeks, Mark Ruffalo se montre comme on l’a rarement vu : il habite le personnage avec une ferveur d’acier, quitte à en faire des tonnes.
Comment raconter la traversée de cette vallée de larmes que furent les années 80 pour un groupe d’individus accédant pour la première fois à une certaine reconnaissance sociale et qui vit soudain ses membres mourir les uns après les autres ? Scénariste et réalisateur font le choix de l’accumulation : en montrer autant que possible, tel semble être leur credo. Le risque était grand de tomber dans le film-dossier, le docu-fiction pédagogique. Le risque est évité par le dynamisme de la réalisation. L’inspiration autobiographique de Kramer est sûrement pour beaucoup dans l’authenticité de la reconstitution. L’ensemble est traversé par un souffle certain. Le scénario ne reste pas rivé à la seule activité militante et prend le temps qu’il faut pour montrer les romances et les deuils qui se déroulent autour. C’est là que The Normal Heart convainc le mieux : en dotant l’œuvre d’une dynamique tragique, le sens de l’engagement se voit plus encore renforcé aux yeux du spectateur et favorise l’empathie. Luttant contre les contaminations futures, Ned Meeks se bat contre la mort inéluctable de son amant, contaminé et qu’il a vu sombrer dans la maladie. Comme s’il allait conjurer la mort de l’homme qu’il aime en empêchant les morts futures.
Seul problème, Ryan Murphy ne sait pas toujours où s’arrêter. Était-il nécessaire de dresser un inventaire si détaillé des dégâts de la maladie sur le corps ? Pas si sûr. Car la caméra insiste tout autant qu’elle peut sur l’amaigrissement, la pâleur, l’apparition des lésions, jusqu’à en faire plus qu’il n’était sans doute nécessaire. Le film n’avait pas besoin de ça pour faire adhérer au propos. À vouloir à tout prix montrer de pénibles scènes de descente toujours plus bas dans la déchéance physique, le réalisateur montre surtout qu’il ne connaît pas la limite. Ce jusqu’au-boutisme se manifeste encore dans des séquences à haute teneur mélodramatique avec peu d’égards pour la pudeur. Alors c’est émouvant, certes, mais la représentation est toujours plus forte quand elle s’accompagne de la recherche d’une bonne émotion. Dans ses excès, le film n’est jamais très loin du chantage aux larmes. Pourtant, de bonne émotion, l’ensemble n’est pas exempt. Le tout dernier plan (qu’on laissera le spectateur découvrir pour ne pas spoiler l’intrigue), en comparaison, constituerait ainsi une bonne image : l’émotion y naît détachée de la moindre obscénité. Disposer les corps de la bonne façon dans l’espace, adopter le mouvement de caméra approprié pour créer du sens… S’il y a un moment de véritable mise en scène dans le film, c’est celui-ci.
Ces failles mises à part, The Normal Heart mérite l’attention pour une autre raison : apprécier une nouvelle fois, quelques semaines après Love is strange, le jeu d’Alfred Molina, tout en contraste avec la sur-agitation de Ruffalo. Dans le rôle du frère avocat de Meeks, c’est lui, au cœur du film, qui donne la note la plus juste.
The normal heart, disponible en dvd (Warner Home Vidéo)
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