Pour quiconque s’est laissé prendre au sortilège Animal Collective, les dernières années n’ont pas été de tout repos. Par rapport aux chefs d’oeuvre des années deux mille, les livraisons récentes étaient de la petite bière. Ce Centipede Hz à la production trop hâtive, grand gâchis d’énergie et de bonnes chansons. Puis Avey Tare, principal compositeur, nous gratifiait de l’essai de son Avey Tare’s Slasher Flicks, pour un résultat encore plus épileptique et brouillon que ne l’était Centipede. Le groupe semblait en passe d’oublier son identité, la recette musicale qu’il avait jusqu’ici élaborée et perfectionnée d’année en année. Celle qui avait donné au monde des choses comme Feels ou Strawberry Jam. Quelle tristesse de les voir jouer sur scène, chacun soigneusement immobile dans l’un des quatre coins, sans un sourire. Alors qu’ils sont capables de transformer un concert en descente d’organe à condition d’y mettre du leur. Il appartenait donc à Noah Lennox, alias Panda Bear, de nous rassurer tous, lui dont les albums précédents parvenaient à rivaliser avec ceux de ses confrères. Il saurait retrouver le droit chemin et nous combler une fois de plus. Nous étions bien présomptueux.

Panda Bear Meets The Grim Reaper bénéficie d’une production de Sonic Boom, ancien Spacemen 3, autrefois aux manettes du génial Congratulation de MGMT. Peut-on rêver mieux ? Il est rare que des producteurs extérieurs soient réquisitionnés sur un opus d’Animal Collective ou d’un de leurs membres. Et on comprend vite pourquoi lorsque l’on juge du résultat. Dans une tentative de muscler le son de Panda Bear, Sonic Boom commet l’erreur de farcir le fond sonore d’effets lysergiques et d’ambiances synthétiques à la Neon Indian terriblement datés. Les Spacemen 3 étaient tout de même actifs il y plus de vingt ans. Parti comme ça, l’album devient vite d’une irréparable lourdeur. D’autant plus que Panda Bear cède à son vieux penchant pour les mélodies cycliques et les répétions de couplets.

Cela donne un album en deux parties. La première faisant étalage de tous les défauts précités, six chansons trop longues qui tournent dans le vide. Elles sont étouffées, plaquées au sol par une avalanche stérile d’artifices sonores qui, à défaut de générer une ambiance, balancent du gros son. Mais qu’est ce que la voix angélique de Lennox sur un son de dancefloor ? Il sonne mal à l’aise, comme l’adolescent entrainé malgré lui sur la piste de danse d’un bal, suant à grosses gouttes. Bien sûr, tout n’est pas à jeter. Crosswords ou Butcher Baker, construites sur de solides mélodies s’en sortent très honorablement . Mais jamais nous n’aurions cru entendre un jour quelque chose d’aussi lourd que Come To Your Senses chez Panda Bear. Cette chanson de plus de sept minutes n’est construite sur rien de tangible, elle est maladroite et grossière.

Cette partie ratée s’achève avec Tropic Of Cancer, moment d’accalmie après la rave. La chanson était déjà disponible sous la forme d’un live d’une douceur réminiscente des meilleurs moments, avec son sample de cordes aériennes et la voix fragile. Ici, cette petite perle a subi le même traitement hormonal que le reste. La voix est modifiée, divers synthés s’agitent dans le fond, au milieu des bruits de vagues et de vent, et l’on se retrouve avec la bande son d’un film de Keira Knightley, dégoulinante de sucre glace. Même tentative en plus sombre avec Lonely Wanderer, arquée sur un sample de l’Arabesque n°1 de Debussy. Morceau d’une tristesse sans fond. «Was it worthwile ?» nous demande sans cesse ce pauvre Noah au milieu des notes aiguës. Comme un ami déprimé avec qui on regrette d’avoir voulu prendre un verre. On acquiesce mollement et sans empathie. Le pire est à venir avec Principe Real, morceau faiblard à la rythmique dansante mais si molle qu’ il sonnerait presque malade. Les voix modifiées au point de n’avoir plus de chair, plus de ton, plus rien.

Heureusement l’album ne nous quitte pas sans une bonne nouvelle, Selfish Gene, à ranger d’office parmi les grandes réussites, avec sa mélodie imparable qui s’écoutera partout en cavalant. Sonic Boom se résigne enfin à laisser couler et il épargne ce morceau. C’est à se demander si le choix d’un autre producteur – ou de n’en prendre aucun – n’aurait pas fait de cet album un petit chef d’oeuvre. Enfin c’est au tour d’Acid Wash de venir conclure mollement ces treize morceaux.

Cette description n’était pas très détaillé mais il n’y a pas grand-chose d’autre à dire. Un pétard mouillé reste un pétard mouillé. Et personne n’est à l’abri d’une erreur de casting. Sonic Boom n’a rien compris à l’énergie que dégage la musique de Panda Bear, à moins – horreur – que le chanteur ne l’ait lui-même oubliée. Charger à tel point la production est une mascarade, l’identité de cette musique est toute autre; c’est une vague lente mais constante qui se charge d’écume et se brise en douceur. Y ajouter basses et synthés revient à greffer un moteur sur une planche de surf.

Ne dramatisons pas. Le fanatique trouvera bien parmi ces morceaux de quoi nourrir son mal. Mais il est pénible de voir un précurseur être ainsi à la traîne. Cela rappelle Lou Reed (paix à son âme) dans les années 70 , lorsqu’il sortait chaque année un album mou, sans consistance, tandis que ses suiveurs le clouaient au poteau. Cela rappelle cette réplique du film Le Vent Se Lève. Tout inventeur a devant lui dix ans de génie et il lui incombe de les utiliser le mieux possible. Animal Collective a peut-être bel et bien vidé son sac. Cela arrive tôt ou tard, demandez à n’importe quel musicien de plus de quarante ans. Les carrières s’étendent sur des décennies mais se ramassent en quelques bonnes années.

Les pronostics ne servent à rien. Animal Collective est ce qu’il est grâce au joyeux mépris que manifestent ses membres pour la hype. Il ne s’agit là que d’un album médiocre. On a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan que l’on croyait trop vieux, comme disait l’autre. Prenons les paris, nous reverrons poindre le nez d’un chef d’oeuvre, puis deux, puis trois.

Note: ★★★☆☆

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