Si le Jour 1 avait laissé le sentiment d’une légère déception – groupes trop calibrés Pitchfork, performances de qualité mais parfois trop sages, si ce n’est ratées – le Jour 2 du Pitchfork Music Festival allait vite bouleverser ce sentiment amer. Une soirée sous l’auspice de l’expérimentation et de l’audace qui allait forcément de pair avec des performances marquantes, voire transcendantes. Huit artistes s’enchaînèrent avec une logique désarmante. Seule la présence incongrue du sympathique Kurt Vile, accompagné de ses Violators, musicien de Neo-Folk, menaça cette sensation malgré la qualité du show.
Les deux noms qui furent choisis pour inaugurer ce Jour 2 étaient des promesses, des artistes au talent indéniable, mais avec encore tout à prouver. Le Londonien Dornik, batteur de la désormais célèbre Jessie Ware, se devait d’apposer une fraîcheur Funk et R’n’B à un festival jusqu’ici gouverné par le Rock Indie. L’espace de trente minutes de concert, Dornik et son groupe ravivèrent la flamme de la musique de Michael Jackson, avec une sophistication supplémentaire, en dépit de la Pop ravageuse du regretté interprète de Thriller. Une introduction agréable, qui poussa notamment le public à se remuer davantage qu’il ne l’avait fait précédemment. Mais c’est surtout Rome Fortune, rappeur de Philadelphie qui donna le véritable coup de fouet qu’attendait le festival. Seul sur scène avec son producteur, le MC fit preuve d’une énergie communicative et enthousiasmante, tentant notamment d’interagir avec un public d’abord timide, puis complètement désinhibé au fil des morceaux. Son Hip Hop électronique et abstrait fut une bouffée d’air stylistique dans un festival malheureusement avare en groupes du genre (il y aura bien Run The Jewels le lendemain, et c’est tout).
Le début de réveil de la foule fut un leurre tant son absence d’émotion devant le show remarquable de Health venu jouer en grande partie son dernier très bon Lp, Dark Magic, fut une grosse déception. Pourtant, tous les éléments étaient réunis pour en faire l’un des meilleurs moments du Pitchfork Festival : sons excellents et étonnamment audibles pour un groupe très noise, prestation scénique intense des musiciens, avalanche de tubes. Même la courte durée du concert, trente minutes, ne fut finalement pas un problème tant Health paraissait avoir tout donné. Stonefist, Dark Enough, New Coke, et même les anciens We Are Water et Die Slow furent joués avec une puissance éclatante mais qui hélas laissa de marbre les spectateurs. Le statut de Health n’aura évidemment pas aidé, le quatuor étant toujours considéré comme une bande d’outsider après presque dix ans de carrière, et l’absence de critiques réellement positives, Pitchfork ou autres, en fait un des groupes les plus sous-estimés du moment.
S’enchaîna ensuite deux concerts globalement moins mémorables. Rhye pour la fadeur de sa musique, sorte de Trip Hop branchée qui fit un peu tache après des performances aussi fortes que celles de Health et Rome Fortune, Kurt Vile & The Violators et sa musique cool, non dénuée d’énergie, mais qui aurait davantage eu sa place au Jour 1. Fort heureusement et comme la soirée précédente, le Jour 2 se termina sur une trilogie de prestations de haute volée.
Battles tout d’abord, et son Math Rock lorgnant intelligemment vers la Pop. Suffisamment pour faire bouger tout un public et même empêcher une partie des fans de Thom Yorke de s’en aller plus tôt pour avoir les meilleures places. Car Battles en live c’est tout autre chose que sur disque. Surtout un La Di Da Di un peu sénile qui manquait d’à peu près tout ce qui nous avait fait aimer l’ex-quatuor. Et pourtant, The Yabba, qui clôtura le set dans une version rallongée en fut certainement le meilleur moment. Chacun des – virtuoses – musiciens de Battles offrit une performance remarquable (John Stanier et sa batterie en star absolue), mais réussit surtout à rester uni, harmonieux. Un vrai groupe de musique. On pourra quand-même regretter l’absence de chanteur, Tyondai Braxton ayant malheureusement quitté le navire pendant l’enregistrement de son deuxième opus et n’ayant jusqu’ici pas eu de remplaçant, si ce n’est l’intermittence de quelques-uns. À la place, ce fut une voix enregistrée qui se chargea de nous envoûter avec Atlas ou Ice Cream, sans qu’on ait pu être réellement ensorcelé.
Ensuite, clou du spectacle, le remplaçant de Björk annulée au mois d’Août, le déjà légendaire Thom Yorke. ll faut avouer qu’on était quelque peu fébrile tout de même tant Tomorrow’s Mordern Boxes, sorti l’année dernière, avait peu emballé. Pas forcément mauvais, la Downtempo électronique et dépressive de l’album vendu sur BitTorrent manquait surtout du génie habituel du chanteur de Radiohead. Le même constat qu’on pouvait faire à propos de Amok d’Atoms For Peace (2013), autre projet parallèle du Monsieur. Mais comme tout grand artiste, Thom Yorke allait nous prouver qu’on avait tort et nous offrit tout simplement le meilleur show de ce week-end musical. Bien que la qualité intrinsèque des morceaux ne fut pas détonante, c’est la prestation de l’artiste accompagné de son acolyte Nigel Godrich (producteur de Radiohead depuis The Bends et « sixième membre ») et d’une autre personne chargée de faire le montage vidéo des immenses écrans en fond sur lesquels déferlaient des imageries rêveuses, qui fut un incroyable succès. Une heure trente de concert qui transforma tout le public en une secte dévouée à son grand gourou. S’essayant de temps en temps à la guitare électrique, donnant l’illusion d’un retour au Rock de OK Computer, Thom Yorke ébahit la salle de ses gesticulations uniques et de sa voix mystique. Un show sensuel et habité difficilement dépassable.
Pas un hasard si Kieran Heiden, alias Four Tet, habitué du festival fut choisi pour lui succéder. Le Dj londonien n’a pas la prétention de vouloir se hisser à la hauteur d’un génie comme Thom Yorke, mais sa musique, qu’il exécute depuis presque vingt ans maintenant ne cesse de muer, de s’éloigner, puis de se rapprocher de ses origines Club, de se frotter à d’autres genres, ce qui en fait un artiste majeur de la scène électronique actuelle. Un indéniable talent qui a d’ailleurs frappé le leader de Radiohead avec qui il a collaboré de nombreuses fois. Pour mettre fin à ce très beau Jour 2, Four Tet balança un set globalement très lumineux, mélange de ses propres compositions et d’autres issus de diverses discographies, notamment exotiques. Une fin toute en danse, dans l’euphorie et la joie qui donnera le la d’un Jour 3 sous le signe de la fête et de l’extase.
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