Il flotte une atmosphère étrange ce 25 mai autour du Bikini. À une demi-heure du retour annoncé de Pulp, qui donne ici son premier concert après 9 ans d’absence, on s’attend à l’affluence des grands jours et ressentir l’excitation justifiée par un tel événement. Il n’en est rien. A 20 h 30, le parking est encore à moitié vide, la file d’attente clairsemée, les revendeurs à la sauvette bredouilles. Inquiets, surpris, on en vient à échafauder deux hypothèses. La première tient au secret relatif auquel a été tenu la salle autour de cette date. Le retour « officiel » de Pulp a été annoncé au festival Primavera à Barcelone deux jours plus tard, la soirée au Bikini étant considérée comme un warm up, un moyen pour le groupe de retrouver son public en petit comité avant de rejouer devant des dizaines de milliers de spectateurs, la presse et les media qui vont observer le come back de Jarvis et des siens. Les places pour le Bikini ont donc été mises en vente en catimini, annoncées par un twitter dont on a cru à un poisson d’avril, puis dans les réseaux Fnac de la région toulousaine, mais pas sur internet. La date n’étant même pas programmée sur le site de la salle, l’organisation a dû se fendre d’un mail confirmant la tenue de l’événement, devant sans doute l’inquiétude d’acheteurs qui croyaient à une supercherie. De source interne au Bikini, on apprendra que seulement 1000 billets sur une capacité de 1500 se sont vendus. Etonnant. On se demande alors si le retour de Pulp était à ce point attendu, si le public n’est pas lassé par ces reformations fiscales, cyniques et complaisantes.
Et surtout, on en vient à se demander qui se souvient vraiment de Pulp, de la grande période de la britpop du début des années 90’s, quand Blur et Oasis étaient en compétition. Certes, Pulp a connu son heure de gloire, à la faveur de deux albums, « His’n’hers » et « Different Class », succès majeur porté par la locomotive « Common people », hymne populaire aux petites gens. Mais retrouver aujourd’hui ce groupe qu’on a aimé autrefois, après une si longue absence, est-ce que ça ne revient pas à revoir de vieux amis un peu honteux à une soirée de retrouvailles « Copains d’avant » ? On observe le public, pour obtenir des indices sur l’audience de Pulp aujourd’hui, et on s’aperçoit que s’il a vieillit, plus proche de la mid-30’s, il demeure néanmoins majoritairement féminin. On espère que le charme de Jarvis Cocker saura encore se faire pâmer ces demoiselles. Notre enthousiasme initial n’est cependant douché que provisoirement car dans la salle, à peine le temps d’un passage au bar, le groupe entre sur scène comme prévu à 21 H 00 avec une précision d’horloger et tout ce qui suivra ne fera que démentir nos doutes : cette soirée sera anthologique, inoubliable, un moment rare et précieux dont se souviendront avec bonheur les quelques happy fews qui y auront assisté.
Logiquement, c’est avec « Do you remember the first time » que le groupe démarre les hostilités. Si le morceau questionne la nostalgie, le souvenir et fait fonction de trait d’union entre le passé et le présent, il n’est pourtant pas question pour Pulp de regarder dans le rétroviseur mais bel et bien de célébrer l’instant présent. La réaction du public est immédiate : le Bikini tangue, résonne au son des refrains repris en chœur. On redoutait le revival pathétique, on retrouve au contraire le groupe tel qu’on l’avait laissé, sans presque l’avoir jamais quitté. Jarvis Cocker est dans une forme extravagante, la voix n’a pas bougé, son jeu de scène est toujours aussi exubérant et sexy, le jeu de hanche et les mimes explicitant les contenus sexuels des morceaux. Entourant le chanteur, le line up original est plongé dans une semi obscurité, aucun éclairage direct, comme si le groupe ne voulait pas rentrer dans la lumière d’un coup. Il faut dire que si l’énergie est intacte, l’identité vestimentaire kitsch du groupe est respectée au prix de quelques retouches de costumes : Russell a pris un certain embonpoint et Candida reste très discrète derrière ses claviers. Le parti pris d’un éclairage sombre respectant les individualités ne masque pas le fait que le groupe prend un plaisir manifeste à jouer ensemble et savoure le moment.
Le set principal, redoutable d’efficacité, privilégie naturellement les tubes, s’articule autour de titres issus majoritairement de « His’n’hers » et de « Different class », et alterne les morceaux les plus euphorisants comme « Disco 2000 » ou « Babies », les structures longues et complexes que sont « F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.V.E », « I spy » et « This is hardcore » et les ballades telles « Something changed » ou « Bar Italia ». Jarvis Cocker échange régulièrement avec le public, plaisante en français et se souvient que la première fois que Pulp a joué au Bikini, c’était aussi un 25 mai, il y a dix sept ans, en 1994. Il ne fait alors pas de doute que cette date, première étape sur la route des festivals, n’a pas été choisie par hasard. « Première question demande-t-il, y a-t-il des personnes ici qui ont assisté au premier concert ? Deuxième question : qui est né en février 1995 ? ». Cris dans le public. « Mon fils, c’est toi ! Je suis revenu pour toi ! ». Le groupe quitte la scène avec un « Common people », le hit attendu et incontournable et s’il décide d’en rester là, personne ne viendra s’en plaindre.
Mais ce soir, Pulp a envie de tout donner, sans s’économiser, et revient pour un rappel marathon où il va jouer des titres plus rares dont on doute qu’ils seront inclus dans les sets de festival. Des morceaux plus méconnus, anciens, antérieurs à la période Island, comme « O.U » ou « Countdown ». Jarvis Cocker dédicace « Joyriders » au chaffeurs de taxi en grève aujourd’hui et dont l’opération escargot a bloqué la circulation le matin même à Toulouse. Après deux heures de concert, il suffit de voir les sourires affichés sur les visages de chacun dans la salle pour se convaincre qu’un grand moment vient de se dérouler. Un moment de beauté, de grâce, un triomphe qui n’était pas acquis d’avance, le come back parfait, qui suspend le temps et permet au groupe de partir sur les routes des festivals tranquille et rassuré.
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