Déjà, ne pas se fier au titre du film ni à son affiche poétique qui montre un jeune ado en habit d’écolier japonais reposer sur un matelas de fleurs. Car le nouveau film de Keiichi Hara refuse toute envolée lyrique, parle de la mort et de la rédemption. Les couleurs annoncées ont passé au lavage, dans le tambour d’une quotidienneté et d’une société nippone décrite comme terne et morose. D’ailleurs, pendant le générique, le titre Colorful apparait en surimpression d’un amas de feuilles mortes, jaunies par le temps, au pied d’un arbre dans le jardin d’un hôpital où séjourne un jeune homme qui a tenté de se suicider. Ambiance.
Le film commence sur le mode du conte fantastique : nous sommes dans l’au-delà où un esprit se voit proposer par un ange, une deuxième chance de revenir sur terre. Pour cela, son âme devra se réincarner dans le corps de Makoto, un élève de troisième qui vient d’essayer de mettre fin à ses jours. Colorful emprunte donc la voie du récit d’apprentissage et d’initiation. Makoto doit réapprendre à vivre dans un environnement qu’il redécouvre au fur et à mesure. Il rencontre sa nouvelle famille, avec des parents sur-protecteurs qui se sentent coupables de son geste et un frère distant et inaccessible. Le collège est le lieu de la socialisation, se faire des amis, communiquer. Cet univers où il doit trouver sa place : pire qu’un purgatoire. Tous les souvenirs de sa vie antérieure ont été effacés, il se demande ce qu’il a fait pour mériter pareille punition et adopte une position d’hostilité systématique.
Pourtant, autour de lui, c’est une forme de révolution. Son père jusqu’alors absent participe chaque soir au repas familial et l’invite à une partie de pêche, sa mère qui ne cuisinait que des plats préparés se remet aux fourneaux, son frère accepte secrètement de retarder son entrée dans une grande école pour financer la suite des études de Makoto. Lui qui ne voyait pas les efforts de chacun, change d’attitude, se fait des amis, sort de sa réserve, brise la glace. Keiichi Hara décrit ce parcours avec beaucoup de finesse, avec une immense qualité d’observation du quotidien. Il procède par petites touches très subtiles dans la description des repas de famille, de la vie scolaire, des relations entre les personnages, parfaitement caractérisés et qui échappent systématiquement à la caricature.
Le trait saisit beaucoup de détails du décor, des intérieurs du foyer aux rues des banlieues métropolitaines, jusqu’à nous les rendre très familiers. On pense beaucoup au dessinateur Jiro Tanigushi avec qui Keiichi Hara accorde cette même attention aux décors et aux personnages, et notamment à Un ciel Radieux dans lequel il était aussi question de l’âme d’un motard décédé qui se réincarne dans un nouveau corps. Sans doute pas un hasard. L’ombre de Yasijuro Ozu plane également sur Colorful, dans la manière dont le grand maître japonais décrivait les rapports familiaux, le poids des traditions et la société nippone. Pour un deuxième film, Colorful fait preuve d’une très grande maturité (il est aussi question de prostitution adolescente) et s’impose comme une formidable démonstration de ce que l’animation peut produire de mieux et de plus adulte. Une promesse pour la suite.
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