Jeudi 31 mai 2012
Un an déjà, que nous nous étions promis d’y revenir. Précisément depuis le dernier soir de la précédente édition, convaincus que ce festival-là est sans nul doute le rendez-vous le plus incontournable de tous les rassemblements estivaux, de par la qualité de sa programmation et de par l’accueil sur le site. Un an à guetter la première mise en vente des billets à bas prix, à suivre en direct les annonces, à coups de tweets, de conférences de presse, la mise en ligne des horaires, à préparer son line up, à arbitrer les dilemmes entre les scènes, à réserver le transport et le logement. Un an à attendre le dernier week-end du mois de mai, Barcelone en ligne de mire, le soleil, les tapas, les ramblas et la Estrella. Autant dire que lorsque nous arrivons sur le site du Parc del Forum, l’excitation est à son paroxysme, nous y sommes : Primavera Sound ! Le plus grand festival au monde, oui, devant Coachella et Bonnaroo, même si nous n’avons pas traversé l’Atlantique pour le vérifier, nous en sommes persuadés.
On est d’emblée surpris de ne pas avoir à faire une heure la queue comme l’an dernier pour l’échange du billet et la pose du bracelet, tout cela se réalise sans attente tandis que Black Lips joue déjà sur le bus Red Bull stationné à l’entrée du site. On ne s’attarde pas car il faut filer devant la scène San Miguel pour le premier concert du week-end : Baxter Dury. L’Anglais en costard cravate joue pour l’essentiel les titres de son troisième album, Happy Soup, une jolie collection de pop songs très élégantes qui font penser à Pulp dans cette façon de poser des petites histoires en trois minutes chrono, avec une immense science de l’observation et du gimmick. Baxter Dury ne rate pas une occasion de cabotiner en faisant le clown sur scène avec beaucoup de décontraction, mais son apparente nonchalance ne fait pas oublier sa superbe voix de crooner, à la fois suave et profonde, souvent épaulée par celle de Madeleine Hart, le clavier du groupe. Une belle entrée en matière, cool et décontractée, dont on regrette juste que les meilleurs titres (Isabel, Claire, Leak at the disco) soient joués en début de set.
Quand Between times & tides, le dernier album solo de Lee Ranaldo est sorti cet automne, on a été surpris par l’évidence pop et l’immédiateté mélodique des morceaux. Point de distorsions de guitares ni d’improvisations bruitistes comme avec Sonic Youth dont l’avenir est incertain, suite à la séparation de Thurston Moore et Kim Gordon, mais un songwriting plus classique et modeste avec une voix mise en avant, d’une grande maturité et décomplexée. Avec plus de trente ans de carrière derrière lui, Lee Ranaldo force le respect quand il monte sur la scène ATP, rejoint par Steve Shelley, son fidèle complice de Sonic Youth à la batterie. Ce n’est pourtant pas un set de vétérans que le groupe va jouer. On est surpris de voir à quel point Lee Ranaldo est toujours aussi vert, d’une jeunesse insolente, qui ne se prive pas de donner une leçon de politique en évoquant les événements de Occupy Wall Street, un peu comme Patti Smith le faisait quand on l’a vue la dernière fois, au Bikini de Toulouse. Le message passe avec humilité, on a toujours à apprendre de ses aînés.
Direction la scène Ray Ban pour assister au retour de Mazzy Star, après dix ans d’absence. Le groupe de Hope Sandoval a rompu le silence l’an passé avec un beau double single Common burn/ Lay Myself down qui annonce un album à venir, dont certains nouveaux titres seront joués ce soir. Dans une quasi obscurité seulement transpercée d’éclairages violet, Hope Sandoval, droite comme un I, pas un seul regard pour le public, ni bonjour ni au revoir, la mine boudeuse, donne l’impression de vouloir être ailleurs, s’il on en croit la rapidité avec laquelle elle quitte la scène dès le dernier morceau. L’émotion que la chanteuse ne parvient pas à transmettre au public ne passe pas davantage par la musique, long tunnel de monotonie dont même des titres comme She hangs brightly, Fade into you ou So tonight that I might see ne parviennent à briser l’ennui. Toujours sous influence Velvet Undergound et The Doors, le set de Mazzy Star est une énorme déception qui nous fait regretter de ne pas avoir préféré Death Cab for Cutie qui joue au même moment ailleurs.
On s’installe devant la scène Mini, la plus grande du Parc del forum, où s’est déjà amassée une foule compacte pour le concert de Beirut. A priori pas très clients des sonorités accordéon/trompette/violon, on se laisse cependant séduire par la joie communicative de Zach Condon, au visage de poupon éternellement jeune, et par sa musique qui s’éloigne heureusement du folklore balkan à la Goran Bregovic. Beirut est tout sauf un orchestre de baltringue. Délicat, tout en finesse et en émotion, il sait à la fois être solennel et léger, grave et festif, comme en témoignent des titres comme Nantes ou A sunday Smile qui sont repris en choeur par les milliers de spectateurs. Idéal pour sortir de la torpeur dans laquelle nous a plongés Mazzy Star et attaquer le reste de la soirée qui est loin d’être finie.
Nous avions vu The XX la veille au Phare de Tournefeuille, une salle de l’agglomération toulousaine où le groupe a joué un concert en forme de warm up, avant la série des festivals qui se prolongera jusqu’à la fin de l’été pour coïncider avec la sortie de leur deuxième album, tant attendu. Pas de surprise, le concert de ce soir est le même qu’hier, mais le bonheur est identique. D’une grande intensité, la musique de The XX convient aussi bien à l’intimité des salles qu’à la multitude des festivals, malgré une musique éthérée, où la lenteur cède la place aux silences et aux voix feutrées, comme murmurées de Oliver Sim et Romy Madley Croft et où les arpèges de guitare sont comme suspendus dans une autre dimension, quasi lynchienne, Angelo Badalementi n’est pas très loin. Des textures de couleurs mouvantes sont projetées sur l’immense X en volume transparent suspendu au dessus de la scène. La demi-douzaine de nouveaux morceaux permet d’envisager le futur album avec beaucoup de confiance, le groupe semble d’ailleurs très détendu, malgré l’enjeu. Oliver se montre beaucoup plus prolixe que la veille et on a même vu Romy esquisser un sourire. Et ça, c’est déjà énorme !
Sweet heart sweet light de Spiritualized est certainement l’une des plus belles surprises de ce début d’année. Tout d’abord parce que le groupe retrouve une inspiration à un très haut niveau, porté par des mélodies pop d’une immense sophistication et parce que l’album est aussi un bon indicateur de la santé retrouvée de son leader, Jason Pierce, remis d’une sale pneumonie qui a failli le laisser sur le carreau. Le groupe attaque son set tardif avec Hey Jane, absolument épique, qui nous fait passer par tous les types d’émotions, d’un sentiment euphorisant à une forme de douce plénitude, pour se conclure par des choeurs gospel quasi religieux. Chaque titre de Spiritualized échappe ainsi aux structures classiques couplet/refrain pour des formules plus complexes, avec des arrangements qui tendent vers la perfection pop. On renonce alors à aller faire un tour du côté de la scène Pitchfork où joue A$AP Rocky, la nouvelle coqueluche hip-hop : il est déjà tard, il faut rentrer se reposer, car ce n’est que le début du week-end et cette première journée nous a déjà comblés au-delà de toute attente.
Note: