La première fois que nous avions parlé avec Jean-Batiste Leonetti, c’était il y a un an, quelques semaines avant la sortie de Carré Blanc en salles. Le film avait été un véritable choc, un geste radical dans le paysage cinématographique français tellement convenu et formaté. Un vrai séisme qui n’a malheureusement bénéficié que d’une sortie technique – peu de salles, aucune publicité, pas de visibilité – ne lui laissant aucune chance de rencontrer son public. Dans ses conditions, le film n’a pas eu les effets d’un tremblement de terre, mais ce qu’on peut lui prédire aujourd’hui encore, c’est qu’il pourrait agir davantage comme une lame de fonds. Avec le temps, un dvd qui vient de sortir, le bouche à oreille, Carré Blanc devrait trouver sa place auprès des cinéphiles exigeants, continuer à cliver son audience, provoquer des discussions. Nous avons voulu interroger de nouveau Jean-Baptiste Leonetti à l’occasion de la sortie du film en vidéo, pour recueillir son expérience de la sortie du film, et faire le point sur ses projets. Une chose est certaine : le bonhomme est remonté à bloc et toujours aussi passionnant !
Versatile Mag : Jean-Baptiste, la première fois que nous nous sommes parlé, c’était il y a un an. Le film n’était pas encore sorti. Entre-temps, il s’est passé pas mal de choses, à commencer par la sortie du film en salles. Comment as tu vécu l’expérience ?
Jean-Baptiste Leonetti : En fait c’est un non vécu car j’estime que c’est une non sortie. Carré Blanc n’a été distribué que dans quelques salles du quartier latin, sans relais publicitaires ou médiatiques, il a été interdit au moins de seize ans, je ne sais même pas si mon film est sorti au bout du compte. J’ai vu ça passer comme une sorte de fantôme. La censure a été totalement subjective – il n’y a pas de sang, pas de sexe dans Carré Blanc – elle a estimé que le film était psychologiquement violent, ce qui n’a vraiment pas aidé.
J’ai l’impression que même dans le paysage du cinéma de genre en France, ton film est très atypique. Y a t il une difficulté du côté des distributeurs à vendre ce genre de projet ou est ce que tu penses que le public n’est pas prêt à accepter ce genre de films ?
Non, ce qui a été bien, c’est la façon dont le film a partagé les gens, il n’y a pas eu d’avis tièdes, c’est ce que je recherchais. En ce qui concerne les distributeurs, on connait leur travail aujourd’hui, ils sont tributaires des exploitants, entre les deux il y a les programmateurs, tout cela fait une foule d’intermédiaires pour arriver à quelque chose qui finalement est très compliqué pour tout le monde dès lors qu’il s’agit d’un film atypique ou qui ne rentre pas dans une case. Je pourrais tous les incriminer – moi y compris – mais le vrai problème c’est l’état d’esprit aujourd’hui en France. Au début j’en voulais à tout le monde, ça a duré trois jours, mais cette tristesse s’est évaporée très vite et je me suis dit que j’avais fait le film que je devais faire, j’en suis content et très fier. On ne peut pas espérer tout de suite un retour gagnant avec un film comme Carré Blanc, c’est impossible, à moins d’être soutenu par une force de frappe monumentale qui n’existe que pour des films qui sont plus accessibles.
Si le film n’a pas été un succès en France, il a en revanche été sélectionné dans de nombreux festivals, est-ce que tu considères cela comme la vraie reconnaissance pour le film ?
Non, les festivals ne sont qu’un élément de la reconnaissance, qui est indispensable en soi car c’est un relais. Mais la vraie reconnaissance, c’est le public et pour amener les gens à rentrer dans les salles, il faut qu’il sache que le film existe. Ce qui était triste, c’était de recevoir des SMS de personnes qui disaient qu’elles étaient dans une salle comble, qu’elles avaient discuté sur le trottoir après le film, qu’elles voulaient le revoir mais que c’était impossible car la séance suivante n’était que le lendemain. Bien sûr que je suis content que le film ait été sélectionné dans autant de festivals, essentiellement nord-américains. Il a été aussi vendu au Japon, ce qui est un exploit. Mais ça en dit long sur le fait que Carré Blanc touche spécifiquement des gens à certains endroits ou une certaine cible.
Est-ce que tu crois que le film est mieux reçu à l’étranger ?
Je dirais que la curiosité est plus grande à l’étranger, il n’y est pas mieux ni moins bien reçu. Ce que je voudrais vraiment comprendre, c’est pourquoi les USA m’ont appelé et pourquoi en France, je n’ai pas reçu un seul coup de fil de producteur.
Penses-tu pouvoir continuer à travailler en France pour faire les films dont tu as envie ou es-tu davantage attiré par le modèle américain ?
Des gens talentueux, qui savent faire du cinéma, il y en a partout. Le problème est comment on leur donne la possibilité de le faire. Je m’en fiche de faire du cinéma en Albanie si les films sont bons là-bas. Je cherche juste le meilleur système pour faire les films qui me font envie et manifestement en France, c’est compliqué. J’ai renoncé à comprendre pourquoi. J’ai abandonné l’idée d’analyser la chose. Mais ce que je pourrais reprocher au cinéma français, c’est son manque de curiosité. C’est d’ailleurs pour ça que je suis parti l’an dernier plusieurs mois aux Etats-Unis pour rencontrer pas mal de gens qui sont plus curieux. Cette année, Carré Blanc a reçu le Prix du syndicat Français de la Critique dans la catégorie du film singulier et quand je vais recevoir la récompense, il y a dans la salle des producteurs, des distributeurs, des éditeurs de dvd, des gens de la profession. Aucune personne n’est venue me voir pour me parler, ne serait-ce que pour discuter du film ou argumenter. C’est très étrange.
Tu peux nous parler de ton voyage aux Etats-Unis ? Tu y as pris des contacts, tu as des projets qui sont avancés ?
Los Angeles est une ville fascinante et excitante qui foisonne de projets mais tout prend beaucoup plus de temps aux Etats-Unis car le mode de financement n’est pas le même. Mais j’ai plusieurs contacts très intéressants dont je ne peux pas parler pour le moment. Ce qui est fascinant là-bas, c’est de rencontrer de très grands producteurs qui ont vu plusieurs fois le film, qui ont pris des notes, qui le comprennent, qui le connaissent, qui peuvent argumenter avec toi, qui saisissent tes références, qui apprécient le film ou pas, mais qui veulent quand même te rencontrer pour te connaître et peut-être travailler avec toi un jour. Je trouve ce dynamisme et cette ouverture d’esprit incroyables. Je ne dis pas que c’est facile de faire du cinéma là-bas, je crois au contraire que c’est très difficile mais la première étape qui consiste à aller l’un vers l’autre pour se connaître, elle existe.
Quel regard portes-tu sur les expériences américaines de certains réalisateurs français qui sont allés tourner là-bas, et qui en sont souvent revenus bredouilles ?
Il y a aussi de très grands réalisateurs qui sont partis aux Etats-Unis, qui ont fait de très bons films et qui y sont restés. Carré Blanc a été projeté à l’UCLA, qui est l’école de cinéma où je rêvais d’aller étudier quand j’étais un petit gamin dans ma cité. J’ai sympathisé avec le programmateur qui me dit qu’il organisait une projection pour le 25ème anniversaire de Robocop, en 35 mm et en présence de Paul Verhoeven, des acteurs, des responsables des effets spéciaux et des scénaristes. J’y suis invité, la projection est fantastique, l’intérêt que suscite le film est incroyable. Et je me disais en observant Paul Verhoeven qu’il avait réussi à faire aux Etats-Unis ce qu’il voulait faire – après avoir réalisé des films hyper radicaux en Hollande – certainement car il avait compris qu’il fallait apporter quelque chose au système. Tous les gens qui ont réussi là-bas n’ont pas cherché à faire comme eux mais à apprendre comment ils fonctionnaient et apporter leur touche personnelle. Les Américains ont toujours besoin de nouveauté, de renouveler leur culture, c’est ça qui fait leur force.
Si on y va dans l’optique de faire comme eux, au pire on ne fera pas de films car ils ont cinquante réalisateurs capables de le faire mieux que nous, car ils ont l’habitude, ou alors on fera un film moyen et on retournera en France. En revanche, si on part dans l’idée de leur faire comprendre qu’on a assimilé les fondements de leur culture, qu’on les comprend, qu’on les aime et qu’on sait les utiliser, et qu’en même temps on veut mixer ça avec son propre style, je pense qu’il y a la possibilité de faire de très bons films. Tony Scott, qui est un grand cinéaste de films d’action vient de se suicider. Il venait d’Angleterre, ça n’est pas la même culture et pourtant, il a apporté au cinéma américain une accélération du rythme, une manière de booster la bande son, une révolution dans l’utilisation de la couleur, une sorte d’humour violent inédit. Il leur a apporté une touche qu’ils n’avaient pas.
Le film est désormais disponible en dvd, est-ce que tu es toi-même un gros consommateur de vidéos, est-ce que tu peux nous raconter ton rapport à ta vidéothèque ?
Mon rapport à la vidéo est un peu mutant en ce moment car je n’ai plus de place dans l’appartement pour ranger toute ma collection. Alors j’ai acheté plein de case logic, des valises noires dans lesquelles je range mes disques et que je fourre sous le lit ou dans des commodes. C’est en quelque sorte le début de la dématérialisation du support, virer le boitier et la jaquette pour glisser le disque dans une pochette. J’attends de voir comment va évoluer I Tunes, si ça va devenir la plus grande dvdthèque du monde et dans ce cas là, je m’en fiche d’avoir un boitier sur une étagère, je préfère avoir le film dans mon cerveau. Mais je suis toujours un très gros consommateur de films car c’est ce que j’aime le plus au monde et j’ai besoin de me tenir au courant de ce qui se fait partout dans le monde.
Est-ce que tu regardes les bonus des dvd ? Est-ce que ça t’intéresse ?
Je n’écoute pas les commentaires audios car je n’aime pas qu’on me dise quoi regarder. En revanche j’ai le souvenir de documentaires qui m’ont fait faire des bonds. Je me souviens de The wild bunch : an album montage pour le film de Peckinpah qui est extraordinaire ou celui de Friedkin pour L’exorciste, qui est passionnant. J’aime regarder ce type de document pour des films qui ont vingt ou trente ans car il n’y a aucun aspect promotionnel ou publicitaire. Tandis que regarder un réalisateur filmer son acteur avec douze caméras et une débauche de moyens, ça ne m’intéresse pas du tout, ce n’est pas un objet d’information.
Le dvd est dépourvu de suppléments, si tu avais pu, qu’aurais-tu aimé inclure pour compléter le film ?
J’ai volontairement décidé de ne pas faire de suppléments si c’étaient des similis bonus. Je voudrais faire un vrai documentaire qui ne mente pas sur le film mais je n’ai pas eu le temps pour la sortie de cette édition-là. Je suis assez confiant sur l’avenir de Carré Blanc, sur l’idée qu’il trouvera son public et sa place à terme. Il faudra alors certainement faire un autre dvd sur lequel il y aurait mon premier moyen métrage, Le pays des ours, un vrai portfolio, un making of où on verra les difficultés de production, le travail avec les acteurs, les tensions… J’aimerais que ce soit un vrai témoignage et que ça me permette de passer à autre chose.
Quels sont tes projets aujourd’hui ? J’ai lu que tu étais intéressé par faire un film de vengeance.
Oui, j’ai plusieurs scénarios entre les mains qui sont absolument géniaux. C’est un thème simple et fort qui touche tout le monde. J’ai toujours adoré ça, les premiers films qui m’ont donné envie de faire du cinéma sont des films de vengeance. J’aimerais bien aller par là, effectivement. En ce moment je repense beaucoup à Man on Fire qui, sans être la quintessence du genre, est un bel exemple de la façon d’exprimer de façon simple des choses qui sont très fortes. C’est ça qui me plait car ça va droit dans la tête du spectateur.
Idéalement, dans une vidéothèque, où faudrait-il ranger Carré Blanc ?
(Rires) Je pense que la force du film est qu’il est inclassable. C’est un film d’anticipation, c’est un film violent, une histoire d’amour, pour certains c’est un film politique, donc je laisse la responsabilité au spectateur de le classer dans ces rayons-là de sa vidéothèque. Certains le mettront sur leur table de chevet, d’autres au fond d’un trou ! Personnellement je classe par réalisateur ou par genre. Je mettrais sans doute Carré Blanc pas très loin de Cronenberg, à proximité de Frissons ou Rage, ça me plairait bien !
Propos recueillis le 22 août 2012
Carré Blanc, disponible en dvd (M6 Vidéo)
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