Un festival au pays de la gardiane sous la bannière d’une chanson de PIL, je m’étais laissé dire que les sets allaient fuser comme autant de banderilles post-punk dans le corps de la Bête – cette meute affamée qu’on appelle aussi le public. Ben non, a posteriori, on dirait que ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Apparemment j’ai raté les grands moments salués par Libé (Cat Power, Black Lips et Ty Segall pour ne citer qu’eux) et mon séjour sur place à tourner à la love song à temps complet…
Faut dire que j’en avais ma claque des riffs bien sentis et du rock judicieux. Comme dit Jéjé (Jérôme Quercia, mon partenaire de music-hall ici au Versatile Mag), Ty Segall c’est impressionnant mais est-ce que c’est vraiment touchant ? On peut se poser la question, hein. Alors bien sûr j’ai passé mon heure dans la fosse avec les freaks, les psychopathes et les punks du dimanche pour m’allumer la tronche avec The Fall… Franchement, comment résister au numéro comique de Mister Smith ? (D’autant plus que les Fall nous ont fait l’opération mind-fuck : deux lapins Duracel boostés aux hormones tapant sur les fûts, Elena qui pianotait sur le Korg son sac à main en bandoulière au cas où il faudrait partir pour ne pas rater l’avion, et Marky-touche-à-tout en train de faire son show sous Ritaline en mode idiot hyperactif). Mais à part ça, même si le festival s’appelle This is not a love song, comme beaucoup d’autres apparemment, j’étais plutôt mûr pour le fun, les cumbias torrides et des litres de jus de papaye. Du coup, j’ai stagné tout le vendredi dans la petite salle du fond (dite le Club), à l’ombre des palmiers et des têtes d’affiche.
En matière de chansons et de pop music, certains croient encore que le Nord a le monopole du génie mais les Meridian Brothers sont arrivés et ont rappelé à l’assistance qu’il se passait parfois des choses au sud de l’équateur. Les vilains disent que les Meridian c’est de la pop tequila et guacamole mais c’est un peu réducteur, non ? Un groupe qui joue Purple Haze comme si Devo découvrait la cumbia n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un digne représentant de la musique folklorique… Je n’ai rien contre les bêcheurs mais, quand on va à la plage, faut peut-être arrêter de brancher son sonotone sur le méridien de Greenwich. C’est simple, vu la réaction de la salle, la bande de Bogota a mis le feu à la paillote. En une heure de temps, ils nous ont fait la totale : les LOVNI hilarants de Desesperanza (Salsa Caliente pour ouvrir le bal et quelques autres) puis les délires à venir, Doctor Trompeta et consorts, qui figureront sur leur prochain album. Quand on est ressortis de là, on souffrait tous d’insolation psychotropicale. Ou alors, je sais pas, c’était peut-être les effets secondaires du truc qu’ils appellent el gas del amor… Ce qui est sûr c’est qu’on avait la tête qui tourne.
Les filles, elles voulaient toutes voir Rodrigo Amarante. Sur lui, je ne vais pas m’appesantir. D’accord c’était génial, ils nous a tous fait voyager avec son accent carioca et ses notes de piano réverbérées par la pluie. Moi aussi j’étais touché par son look de Robinson Crusoé et sa magie candomblé. Je crois même qu’à un moment, atteint d’un accès de saudade un peu sournois, mes pieds ne touchaient plus terre. Les copines ont versé une larme et, par la suite, il a aussi fallu monter une cellule pyschologique pour quelques nymphettes bouleversées. Certains diront que c’est de la pure jalousie mais je pose quand même la question : un mec qui fait chialer les filles est-il vraiment digne de respect ? Non je déconne…
Ce qui est bien avec les festivals, c’est qu’il vient toujours un moment où tu es un peu paumé et là quelqu’un se pointe et te prend par surprise pour t’embarquer dans un concert improbable. En proie aux langueurs et à l’effet Rodrigo, je traînais dans le patio et goûtais des embruns de pluie tropicale quand Miss G – ma diva soul system – m’a intercepté pour me rappeler que Jungle, dont je n’avais jamais entendu parler, passait dans la salle d’à côté. Ni une ni deux, on a filé dans la fosse. Je crois que c’est là que tout a vraiment dérapé, c’est devenu très love et excessivement érogène. Sur scène, il y avait des percussionnistes, deux chanteurs visiblement possédés par les Bee Gees plus deux choristes réglés sur le canal Motown. Vu l’ambiance, le public avait rejeté tout fardeau moral, c’était du pur délire. Style Kool and the Gang sors de ce corps, ça devient trop torride. C’était du funk, de la disco, les filles tournaient succubes et les mecs gigolos. J’ai réécouté au calme, à la maison, et j’ai pas trouvé ça terrible. Mais sur scène, ce groupe était phénoménal. De loin le concert le plus chaud auquel j’ai pu assister durant le festival. Ils nous ont rendu fous avec leur pop gorgée de funk et de rythmes afros. Irrésistible !
Quelques festivaliers commençaient déjà à divaguer sur les salons de massage et les cocktails aphrodisiaques mais c’était sans compter sur Sean Tillman aka Har Mar Superstar : le soulman leur a coupé l’herbe sous le pied. Les filles, pas folles, ne s’étaient pas trop éloignées. Avant même le coup d’envoi, des gangs de ladies se bousculaient au portillon du Club. Har Mar a démarré le pied au plancher avec les tubes de Bye Bye 17, son dernier disque. En moins de deux, on a vu les pépettes du premier rang ajuster leur bikini et piquer une tête dans le bain d’hormones. Sean est parti dans son numéro d’effeuilleuse et s’est retrouvé torse nu, la panse à l’air (une panse intensément érogène, à en croire les cris d’hystérie féminine). Sean ne doit pas mesurer plus d’un mètre soixante, est atteint de calvitie et a le même tour de hanche que Benny Hill. Cela dit, il a le flow de Stevie Wonder, va parfois taquiner Sam Cooke et nous a fait le coup de la sex machine. Plutôt classe mine de rien. Et inutile de préciser, les ladies étaient en transe.
A bien y réfléchir, tout ça n’était pas très punkolitical correct. Mais bon, le punk on s’en fout, on laisse ça à la brigade du rock. On est partis le coeur léger, on était tous des lovers.