Dans un documentaire consacré au livre numérique, Nick Tosches, avec sa faconde albanaise, un verre de scotch à la main, tournait en dérision les ebooks. On imagine mal les grands prêtres assyriens, sous les remparts de Ninive, nous disait-il, ordonner des sacrifices humains tout en manipulant des iPads à la place de tablettes d’argile. Nick, si tu nous écoutes, sache que tu es le grand scribe du riff et de la blennorragie et que tu nous as bien fait marrer, mais les temps ont bien changé. Si Sardanapale ordonnait un massacre aujourd’hui, il le ferait sans doute depuis son BlackBerry. Et si Elvis sortait encore en boîte, il se mettrait peut-être à la techno. Avec des si on pourrait refaire le monde et jusqu’à preuve du contraire, c’est ce que fait Alan Vega depuis le début des années 1970. Si les incunables étaient ces livres rares qui, à l’époque de la Renaissance, hésitaient encore entre la forme écrite et la forme imprimée, alors la plupart des disques d’Alan, du premier album de Suicide en 1977 au Sniper de 2010, sont à compter parmi les incunables de la musique enregistrée.
Bon, tout ça c’est bien joli mais venons-en aux faits. Réalisé en duplex entre la France (pour la musique de Marc Hurtado) et New York (les studios 6/8 pour la voix de Vega), voire même Barcelone (pour le featuring de Lydia Lunch sur Prison Sacrifice), ce disque perpétue la geste du troisième millénaire avec quelques longueurs d’avance sur le réseau satellite et les prévisions les plus folles – et, cela va sans dire, dans un registre autrement plus bruyant. Imaginez Elvis revenu d’entre les morts, ayant enfourché un bolide et roulant à contresens sur le pont de Brooklyn. En passant, il gueule des trucs aux automobilistes bloqués dans les embouteillages, éructe des slogans sibyllins au sujet de la guerre civile et des radiations nucléaires, de Guantanamo et de Treblinka, le tout sur fond de trance indus et de rugissements de moteurs. Sniper c’est un peu comme ça : chaque morceau vous tombe dessus comme un flash info présenté par le cadavre du King boosté à la techno. Quant aux nouvelles, est-il besoin de le préciser, elles ne sont pas très bonnes.
Après la synthèse électro rockabilly du Suicide 77, l’association Vega-Hurtado a la même couleur qu’un cocktail indus dark gospel. Sniper semble être un des récents incunables du nouveau millénaire. Vega est dans la profération, en mode rockstar céleste ; Hurtado dans la techno futuriste et la musique concrète. Pendant que Bang Bang tire à vue et nous envoie des rafales d’électro granulaire, entre les sons d’usine et les bruits de combustion amplifiés, Saturn Drive Duplex sonne comme un hit aérien, un tube crépusculaire. Décollage immédiat. Direction Saturne. Comme dirait notre Président : la SF, c’est maintenant.
Alan Vega & Marc Hurtado – Sniper (Le son du maquis)
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