Décidément, alors qu’Alan Moore ne cesse de vitupérer contre les adaptations ciné de ses nouvelles graphiques – allant jusqu’à les renier sans même les avoir vues (V pour Vendetta, pourtant une énorme réussite) -, Frank Miller voit au contraire ses œuvres portées au grand écran avec une fidélité très stricte au matériau de base. Robert Rodriguez avait réussi à retranscrire l’univers de Sin City sur pellicule en faisant le choix de recréer à l’identique les cases des comics de Miller, en respectant le travail du cadre, de la lumière et du dialogue. Si l’adaptation de 300 était a priori une proposition excitante, ne tergiversons pas, le film est un plantage complet dont l’échec d’un strict point de vue cinématographique se double d’un propos idéologique absolument nauséabond et douteux.
Dès le début, 300 révèle une direction artistique malheureuse : le film a été tourné comme Sin City, pour l’essentiel en studio devant des écrans verts où ont été ensuite incrustés décors et effets spéciaux. Ce parti-pris trouve très vite ses limites dès la séquence où le jeune Léonidas fait face à un loup numérique du plus mauvais effet, médiocrement animé et pauvrement intégré. Cette intention du tout numérique est la principale limite du film dans son aspect strictement cinématographique, car elle déréalise totalement l’action qui se joue à l’écran. Quand-bien-même il ne s’agirait que de la transposition d’une BD au cinéma, le film prend beaucoup trop de distances avec le spectateur en ne se concentrant que sur ses effets et son visuel au lieu de développer ses personnages, de les caractériser a minima pour pouvoir éprouver un quelconque intérêt à leur égard. Le film – déjà indigent visuellement et psychologiquement – se contente d’observer une masse de guerriers body-buildés dans une série d’affrontements répétitifs dans lesquels aucun enjeu individuel, aucun micro-événement ne viennent éveiller l’attention. Les batailles se succèdent donc à l’identique, dans une série de travellings latéraux en CGI où les spartes dessoudent à tout-va, à grand renfort de sang numérique, d’accélérés et de ralentis utilisés sans parcimonie. Cette surabondance d’effets gratuits évacue l’aspect barbare et épique que visait manifestement le film, lorgnant du côté de Conan ou Le seigneur des anneaux, sans jamais atteindre ces prestigieux modèles.
Mais le pire réside dans l’idéologie nauséeuse véhiculée par le film, ni plus ni moins qu’un sous-texte fascisant qui prône l’eugénisme, le rejet de l’étranger ou des différences. D’emblée, les spartiates nous sont présentés comme un peuple pratiquant la sélection naturelle dès la naissance, où les nourrissons qui manifestent des tares physiques sont jetés à la fosse, où les enfants mâles sont dès leur plus jeune âge entraînés au combat et éduqués dans des conditions de violence et dans un esprit de compétition dont l’objectif unique est d’en faire les meilleurs soldats pour défendre l’État, auquel tout est subordonné. Face à un tel système, l’armée de guerriers censés signifier le courage et l’héroïsme finit a contrario par devenir le symbole des pires travers nationalistes. Les soldats sont comme clonés à l’identique, avec plaques de chocolat et muscles saillants, répondant à l’unisson à un cri de guerre qui évoque celui des GI et marchent dans un bruit de bottes suspect pour bouter l’étranger hors de leur sol. Il est intéressant de noter que dans ce tableau nauséabond, le seul spartiate handicapé par son physique – et rejeté par l’armée – est celui qui trahira son pays en succombant à la corruption de ses adversaires. D’ailleurs, tout ce qui n’est pas spartiate dans le film est corrompu par le sexe, l’argent ou le pouvoir. Xerxès caractérise à lui seul l’ensemble de ces vices. Véritable géant sosie de Priscilla folle du désert, il croule sous l’or et les diamants et manifeste systématiquement des penchants pédérastes dans sa volonté de mettre ses adversaires à genoux (pour quoi faire ?) ou, lorsque dans une scène surréaliste, il essaie de soumettre Léonidas à sa volonté, convoquant une imagerie gaie associée ici à la loi du plus fort où le perdant est littéralement celui qui se fait sodomiser !
On aimerait rire de tout cela si le film n’était d’un sérieux imperturbable qui achève définitivement de plomber l’entreprise et le relègue du rang de film grand spectacle à celui moins enviable d’œuvre de propagande à rayer de notre mémoire.
300, disponible en dvd et blu ray (Warner Bros.)
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