Le nom des Panther Burns, le groupe qui accompagne Tav Falco, viendrait d’une vieille légende rurale née dans le Comté de Greenville (Mississippi). On raconte qu’à la fin du XIXe siècle, une bête sauvage rôdait aux alentours de la plantation et terrorisait les habitants. Les autochtones finirent par capturer le fauve et la mise à mort, toute en nuances southern gothic, se fit par immolation. Falco a choisi cet animal-totem en hommage aux divins feulements de son agonie vécue dans les flammes. Sainte Mère de la Combustion, waouh, ça c’est de la mythologie pour honky tonks ! Même si John Ford nous avait prévenus – quand la légende surpasse la réalité alors imprimez la légende – ceux qui ont eu la chance, tout récemment, de voir les Panther Burns incendier une salle de concert à coups de riffs rockabilly savent que, légende ou pas, la flamme n’est pas morte.
Conjurations, après avoir été refusé par différentes officines de l’industrie musicale, a été enregistré à Paris, du côté de Saint-Germain-des-Prés, dans un lieu resté secret. On y retrouve tout l’imaginaire et les thèmes de prédilection de Falco – l’érotisme pervers, les amants maudits et un long défilé de femmes fatales – mais, au-delà du romanesque et des talents d’écriture, ce disque évolue dans le sillage d’effluves lointaines et baroques, quasi mystiques, que l’on associe spontanément aux cabarets, aux bars du Sud et aux milongas argentines. Le blues y est métissé de tango (Tango Fatale, Secret Rendez-vous). Des ballades au romantisme extravagant sont accompagnées au clavecin (Bertrand Burgalat officie au clavier, en tant qu’invité, sur Chamber of Desire et Garden of the Medicis). La country s’y fait voluptueuse et languide (Phantôme Demoiselle) et, deci delà, les Panther Burns paient également leur tribut aux barons de Memphis et du Delta : la fuzz grésillante sur Administrator Blues, le rock’n’roll vénéneux de Sympathy for Mata Hari ou encore le swamp sauvage de Gentleman in Black, sorte d’autoportrait de l’artiste en voyou insaisissable. Charlie Feathers, Jim Dickinson, Leadbelly. Les oriflammes des Etats du Sud et du Tennessee flottent sur Conjurations aussi sûrement que les bonnes marques de whisky trônent nonchalamment derrière le comptoir.
Ce disque aurait paraît-il été enregistré à l’arrache. C’est aussi sans doute ce qui lui confère d’emblée une certaine spontanéité ainsi que cette patine légèrement surannée et magique. Au milieu de tant de disques formatés et surproduits, cette séance pour amants dérangés a le charme d’une autre époque. C’est une petite merveille décalée et insolite, sans aucun rapport avec l’air du temps, hantée de bout en bout par la voix inimitable de Falco, cette voix qu’un journaliste, il fut un autre siècle, avait comparée à rien de moins que celle de Marlene Dietrich en train de chanter sous la torture… Mein gott, la ballade postée en bas de page vous permettra d’en juger.
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